Les amants

La ville est un puits de lumière. Elle absorbe tout, le ciel et ses oiseaux. Depuis plusieurs jours, ils se sont fait la malle. Ils jouaient sur les murs, entre les ombres tournoyaient, dessinaient arabesques et graffitis dans un concours qui semblait ne jamais s’arrêter.

La ville est belle le matin comme une amante dans son lit. Elle remue doucement et efface tout d’hier. Page blanche avec une envie de recommencer dans les yeux qui la rend attachante. La lumière et l’oiseau reviendront, ce sont de vieux amants inséparables.

2023
  • 25.8.25

Flux

La place donne la note du jour,
assise là sous les grands platanes.

Elle dote la ville d’une portée,
d’une double-croche de paix à saisir. 

J’y lis Woolf dans son flux de conscience,
saute entre ses sons de cloches

et ceux de l’église toute proche
— je vais avec le temps, Virginia.
  • 23.8.25

Moellons

Par la fenêtre, des bouts de murs,
fragments de rue,
fragments d’espaces,
qui tiennent tous dans la tête. 

Des rangées de moellons
se rassemblent sous les ombres,
aussi bien alignés que des soldats
— on dirait qu’ils bougent 
d’un mouvement perpétuel,
absents au regard mais
tenant le chemin aux pensées. 

De quoi écrire une maison
sans se salir les mains
avec cette voix qui construit
des passages secrets.
  • 22.8.25

Qui de nous deux

Un sourire avec les yeux rencontre un visage, et les corps se rétractent : les bras se croisent, les mains cherchent un cou qui se dérobe, l’œil file loin, derrière le paysage. On croit y voir le reflet noir des montagnes et, à côté, nos cœurs plongés dans l’eau de mer. Ce n’est qu’un raté d’ouverture – une panne, une rencontre avortée – qui nous piège dans les plis de l’instant.
Qui de nous deux a effacé l’autre ?

2021
  • 19.8.25

Faire silence

Le jour traîne encore des pieds.
Il faudrait apaiser la mémoire,
tenir l’oubli comme une promesse,
faire silence de tous les bruits,
en appeler à l’oiseau de passage,
et de lui tenter de comprendre
l’envol et la suspension
pour un peu soulever la poussière
qui colle à nos souliers.

2021
  • 17.8.25

Cahin-caha

J’ai vu passer une solitude
avec son charriot d’angoisses.

Cahin-caha,
elle trottait comme une enfant
un premier jour d’école,
les yeux rivés sur ses souliers neufs,

ceux qui brillent trop, et qu’on aimerait vite
salir pour marcher un peu plus droit.

2023
  • 15.8.25

Je cherche une image

Je cherche une image pour dire ce petit vent qui entre par la fenêtre. Léger, doux tandis que les nuages s’amoncellent sur les toits. Je cherche une image à poser sur cette lumière ocre que prend soudain la rue. Les murs virent au jaune, au crème clair. Oscillent entre les deux tons. C’est comme un roulement de tambour mais silencieux. 

Le trottoir sue, les fenêtres gondolent, le jour se recroqueville et trimballe des miasmes. Je cherche une image pour ce qui maintenant se retire. Cette aspiration vers l’extérieur, machine arrière, l’air reflue. J’entends les entrailles des nuages gronder. La faim montre son museau. Je cherche une image qui ne peut être prise par aucun appareil photo. Les couleurs bougent trop vite pour être fixées.
  • 14.8.25

Dans le coin

Je regarde un coin de ciel
se découper entre les rideaux.

Un nuage qui s'effiloche
dessine une herse sur son dos.

Il faudrait caler cette déchirure
entre deux tasseaux pour éviter

qu’elle ne tremble sans cesse
au-dessus de ma tête.

2018
  • 12.8.25

Sur la digue

On a voulu tremper la lune
dans le ciel le plus sombre,

asseoir la nuit sur la digue
comme au bord d’un café noir,

décocher un sourire pour voir
si l’espoir ricochait dans l’eau,

puis on est parti sans rien dire,
une mélancolie sucrée sur les lèvres.

2017
  • 10.8.25

Les sœurs

C'est l'instant attendu :
par la fenêtre viennent
quelques fragments de ciel.

Les soeurs Lumière et Ombre
ferraillent sans rien déranger,
tout en accueil d’autres présences.

La nuit peut venir, elle a son lit.
  • 6.8.25

Exclamation

Un nuage pas plus gros qu’un point passe sous un ciel fragmenté de virgules comme des soupirs. Tu poses ton ombre entre deux rochers. Pour une heure, seul avec la pauvreté du relief, ta langue joue à former des mots comme des ballons qui prendraient de l’altitude. Mais la phrase manque d’air, elle se cache sans que tu parviennes à en extraire le sens. Une vague, quelque inertie plus loin et le poème crie toujours famine. Une virgule attend l’envolée ; le nuage pas plus gros qu’un point, une exclamation.

2018
  • 5.8.25

Un homme sur un banc

Un homme sur un banc souffle sur ses lunettes, pour y faire de la buée. D’un mouchoir en papier puis du revers de sa chemise, il nettoie le verre, le regard porté vers un intérieur de soi.

Au soir, quand baisse la lumière, un homme sur un banc, empesé de nostalgie, d’un geste, d’une façon, que je croyais oubliés au profit d'une lingette à lotion dégraissante, nettoie calmement ses lunettes. 

Allez savoir pourquoi : cet homme m'émeut.

  • 3.8.25

Quelqu’un va

Quelqu’un va dans la rue 
dansant sous le vent léger 
comme le ferait une robe 
entre une paire de jambes. 

Pas de musique mais des pas
cadencés par un ciel métronome.
C’est l’été qui bât son mystère,
joues rouges et talons hauts. 

La mélancolie heureuse sur le pavé,
quelqu’un va dans la rue
en portant sur son dos un baluchon
de mots usés à jeter à la mer.

2021
  • 2.8.25

Visages

Parfois ce sont de vieux visages 
qui viennent trembler à la fenêtre.

Sans s’annoncer, une autre image
remplace le cadre du réel.

Un soleil pour ces autres
sous un mirage les brouille.

Des anciens, des oubliés
revenus de l’œil de la mémoire.
  • 30.7.25

Bleu du fond

Malgré la fatigue des gestes,
les renoncements mal assumés,
le désarroi qui parfois affleure,
ne pas toucher le bleu du fond.

Faire avec les fissures de l'âme
comme si on reprisait nos frusques,
chercher l'aiguille dans la botte,
ne pas avoir peur d'espérer.

2019
  • 24.7.25

Soutenir les ombres

Il fait un jour à soutenir les ombres. 
Nous devrions courir après les arbres. Les sauver des cueilleurs et des bûcherons. Préserver les longues branches que le vent balance. Nous devrions nous liguer contre les climatiseurs. Courir nus dans les prés jusqu’à ce que la soif nous étreigne. S’allonger et dans l’ombre d’un saule pleureur attraper ton sourire. 
Il fait un jour à soutenir les ombres.

2019
  • 16.7.25

Couleur du jour

Le vent prend dans ses bras
les plis et replis de la mer.

La couleur du jour
pourrait être mauve
si on s’attardait 
sur les couches de suie
laissées par la nuit. 

La couleur du jour 
pourrait être fauve 
si on prenait le vent
dans nos bras,
si on le plaquait sur le sable.

2019
  • 13.7.25

Erreur de rêve

Elle est entrée dans mon rêve aussitôt sortie de celui d’un autre.
J’ai vu qu’elle venait d’un autre rêve à sa tête, à son allure, et surtout à sa chevelure blonde.
Je ne rêve jamais de filles blondes — puis son accent n’était pas d’ici.
Je rêve local, habituellement.
Elle portait autour d’elle le décor du rêve précédent, ou d’un rêve simultané — allez savoir.
Un halo blafard l’encerclait.
Elle marchait lentement dans une ruelle sombre.
Elle me scrutait avec bienveillance, mais son regard était encore pour l’autre, le rêveur précédent.
Un blond, assurément, qui devait se trouver désemparé derrière elle, à l’autre bout de la ruelle, planqué dans une porte cochère, à regretter de la voir doucement s’enfuir de son rêve.
Je voyais qu’elle ne se sentait pas à sa place, à piétiner ainsi mes chimères.
Mais, comme deux inconnus qui se croisent avec l’impression de s’être déjà vus, sans savoir quand, comment ni pour quelle occasion, elle m’a décoché un sourire tendre et confus.
Un sourire pour se donner une contenance, parce qu’elle ne savait pas ce qu’elle fichait dans mon rêve.
Elle voyait bien que, même si on s’était croisés un jour, elle ne devait en rien apparaître dans mes rêves — que c’était là, tout de même, un manque incroyable de savoir-rêver !
Elle a marché longtemps — enfin, le temps de mon rêve : quelques millièmes de seconde — puis a disparu, rattrapée par ses propres rêves, au sein desquels jamais n’apparaît quelque homme brun.

2016
  • 9.7.25

Coucher

Cet arbre au dos voûté 
voudrait m’envoyer un message.

Me dire le poids des années
sous des ciels trop pleins de lumière. 

Ou bien m’indiquer la position
à adopter — coucher avec l’horizon. 

Une fatigue, pour trouver la beauté
juste à l’endroit de ses courbes.



  • 7.7.25

Manège

Le manège tourne.

Un camion de pompiers,
un oiseau à hélice,
une voiture de police,
une odeur de poussière,
un pompon à franges.

Un œil suit le mouvement.

Une pomme d'amour
un rouge aux joues,
un peu de sucre,
un sourire perdu,
un rien de vent.

La tête tourne.

Est-ce une fuite
de chevaucher l'enfance ?

2017
  • 5.7.25

Œil fendu

Le soleil rase les toitures de zinc, la ville étire ses longues jambes. Derrière un mur, quelqu’un regarde le ciel comme s’il allait flamber.

L’heure a beau faire la belle, l’angoisse fait son train. Tapi dans l’ombre des tours, quelqu’un racle sa gorge, l’œil fendu face au crime du petit jour.

2020
  • 3.7.25

Plaine

Et c’était mordre la neige,
cette sensation dans le ventre.

Un regard, puis le vide autour,
une plaine où l’on perd la voix,

tant le froid envahissait la parole,
dérèglait les sens, quand tu es partie.
  • 2.7.25

Mémoire des rives

Il passe son temps à nettoyer les bords de l’eau. Cette eau vive, après les pluies, charrie toutes sortes d’immondices, de branches, de boue mêlée aux herbes — une mélasse qui s’agglutine et fait barrage.
Il faut, dit-il, créer le passage à grands coups de pelle, élaguer les arbres pour éviter que ne s’ajoutent des branches aux branches venues d’ailleurs, de la mélasse à la mélasse des montagnes.
Son front porte haut dans ces moments-là. Il est le sauveur des eaux avant qu’en été, elles ne se taisent. Que le ruisseau s’éteigne. Que l’eau ne coure plus, qu’elle laisse place à une terre sèche parcheminée de crevasses. Certains lui disent que son travail ne sert à rien, qu’il faut laisser faire la nature. Que l’eau passe et se calme. Mais rien n’y fait. Il passe son temps à nettoyer les ravines.
Il sait ce que retient la mémoire des rives.

2021
  • 29.6.25

Le civet

Le soir tombe dans la cuisine,
un civet de lapin frémit sur le feu.

Une odeur de chasse se dégage 
de la grande casserole qui boite. 

Le couvercle se lève puis retombe
comme une cymbale malade. 

A moitié vide, la bouteille de rouge
garde le bouchon heureux.

On entend nos voix se blesser 
contre l’écran du téléviseur.

2020
  • 28.6.25

Le confiturier

Je me souviens des notes que tu laissais sur le petit meuble dans le couloir. Juste à côté du téléphone à cadran et au fil torsadé, quelques mots sur des post-it bleus qui ne se détachaient jamais de leur bloc. Un nom, un numéro, une fleur ou un gribouillis déposés là lorsque ton interlocuteur parlait trop, ne voulait plus raccrocher, se perdait en bavardages inutiles.
Je me souviens de ce meuble aux grosses joues. Tu l’appelais le confiturier, le petit confiturier en bois brun. Aucune confiture à l’intérieur, mais des blocs et des blocs de papiers bleus, neufs ou déjà griffonnés : des noms avec des numéros, des fleurs ou des gribouillis d’impatience.
Je me souviens de ce confiturier, lorsqu’il a fallu le déménager. Je l’ai vidé de tout ce papier bleu qui sentait la poussière. Quelques blocs se sont défaits. Alors, j’ai trié : les fleurs d’un côté, les gribouillis de l’autre ; les correspondants que tu aimais, et ceux qui t’agaçaient.
Je me souviens du tout petit bouquet de fleurs.

2020
  • 27.6.25

Tari

De l’enfance, je retiens les puits et les fontaines taris. La pierre sèche dont on faisait des sanglots. Les pluies qui ne venaient pas, même en suppliant le ciel longtemps. L’écho long et profond de ma voix qui descend dans la terre. Les petites joies cachées sous les cailloux, brins d’herbes folles dans le vent pour oublier le temps. La patience des longues journées d’été à qui la nuit tirait des ivresses.

2020
  • 22.6.25

Jeux d’eau

L’enfant, dans les jeux d’eau de la place, cherche le regard de maman. Étonné, il s’aperçoit qu’éclabousser n’est plus interdit. S’amuser avec les jets, aujourd’hui, est permis. Va savoir pourquoi, à la maison — semble se demander la petite tête ronde qui se tourne vers moi — une pareille giclée que je viens de t’envoyer sur les pieds, quand je la projette du robinet de l’évier au parquet, s’avère la pire des bêtises.
Oui, petite tête ronde, tout ça n’est pas simple… mais continue !
  • 21.6.25

Rasade

Une rasade de soleil dans le café
et toute la parole s’exile.

Peu de mots viennent à moi
pour espérer la rejoindre.

Un courant d’air me surprend,
une onde plate au niveau du sourcil.

Je cherche dans le ciel trop bleu
une insouciance à qui sourire.

2018
  • 19.6.25

Ciel bas

Un ciel bas promène un chagrin,
longe les bords d’une mélancolie

sans jamais la toucher de peur
d’en apercevoir l’épaisseur.

Une brume lumineuse se débat,
apaise l’œil de son soleil fragile.

L’espace est mince pour en tirer
une joie sans se sentir redevable.

2018
  • 15.6.25

Vairon

Dans la rivière de l’enfance, près des rochers
glissants où les truites font leur ronde,

là où va l’obscure vase, aujourd’hui encore les mots
sont courts pour dire les écorchures au genou,

le bout des doigts flétri, l’odeur de serpillère sale
remontant des racines de l’arbre,

nos cris dans la vallée quand s’agitent les ombres
et cette eau vairon qui toujours frétille dans les yeux.

2020
  • 14.6.25

Débrayage

Quand le moteur du jour débraye, jeter une pensée espiègle dans le cambouis du ciel en soudant d’un regard une ombre grasse, en décalant d’un doigt les rouages d’un nuage ou en freinant d’un soupir l’effacement naissant d’un arbre ; puis s’en remettre au sommeil des bêtes sans vraiment comprendre à quoi rime toute cette mécanique.

2017
  • 11.6.25

Le bout de ses souliers

Il fait un jour à regarder le bout de ses souliers. 
Un jour qui sent les petites blessures de l’enfant. La nuit à midi, une honte qui peu à peu nous envahit. Plus un mot ne peut sauver les heures qui passent. Et ça provoque comme une mauvaise ivresse. Le souffle court. Inspirer est une marche, expirer un escalier sans fin. Y penser est une bombe. On pourrait mourir là, écraser par soi-même. On espère juste que le ciel s’ouvre pour quitter ses pieds. 
Il fait un jour à regarder le bout de ses souliers.

2020
  • 11.6.25

Travaux

À la faveur de travaux, la rue perd sa rectitude. La traverser devient un défi : sauter de planche en planche, une épreuve que certains peinent à réussir en bougonnant ; d’autres l’ignorent, longeant le bord du trottoir, s’appliquant — un pied devant l’autre, bras écartés — à sourire à l’enfant qu’ils étaient, dans le bonheur des marges.
  • 9.6.25

Arum

Je ne t’ai jamais déposé de fleurs. Ne m’en tiens pas rigueur. Je n’ai pas la nostalgie fleurie mais la mémoire aussi fragile qu’un pétale d’arum. Mon hommage passe par une parole creuse que je tire à l’infini. Un langage de peu d’éclats comme la fleur sauvage qui pousse à la lisière de ton ruisseau. Elle y trouve l’eau et le calme souterrain de la terre. La tige grimpe longue, fière et droite et me tend un calice blanc et violet qui s’ouvre comme un deuil. Est-ce un hasard si l’arum dégage cette odeur si particulière de charogne ?

2016
  • 8.6.25

À travers un verre

Je regarde à travers un verre l’étrange déformation du dos d’un livre. Prises dans la matière ciselée, les couleurs fuient sur les bords. Il semble qu’elles bavent et que l’ordinaire s’en effraie. 
Le titre, le nom de l’auteur mutent : un A devient un B, un C allongé une corne ; un E tire la langue tandis qu’un F me lance une flèche multicolore. Je bois un peu d’eau, repose le verre qui reprend son kaléidoscope multipliant contorsions et métamorphoses. 
Je continue ainsi jusqu’au verre vide qui, par la condensation, se voile d’une buée de plus en plus opaque. Lentement, les couleurs s’éteignent, les lettres retrouvent leur place. Le livre disparaît, une certaine joie aussi. 
  • 7.6.25

J’aime le jardin de mon père

J’aime le jardin de mon père, avec ses grillages troués, ses allées mal dessinées où la terre se fait la belle dès les premières pluies tombées.  

J’aime le jardin de mon père, ses allées de tomates tordues, ses ravines où l’eau coule mal, résiste à des poignées d’herbes dressées là comme des barrages. 

J’aime le jardin de mon père, ce petit foutoir aux arrosoirs percés, aux seaux en plastique brûlés, aux vieux outils de fil de fer ou de chiffons rafistolés.

J’aime le jardin de mon père car il reste dans ma mémoire le lieu qui ne ressemble en rien à l’éducation stricte et ordonnée qu’il a tant voulu me donner.

2020
  • 6.6.25

Sur le palier

Je vais ouvrir la porte sans y penser, la refermer sans me retourner, glisser les clés dans ma poche.

Je vais dire bonjour sur le palier au voisin, qui aura refermé sa porte sans y penser, se sera retourné…

M’aura salué, les yeux mal allumés sur ce nouveau matin parmi tous les matins futurs et passés dont on peine à trouver les clés.
  • 3.6.25

Visages

Il y a les visages de l’enfance 
ouverts ici comme des paysages

— soudain, par je ne sais quel artifice,
revenus d’une mémoire cabotine. 

En parler du fond de leur nuit, 
est-il façon de les faire revenir ?

Vanité du poème que de remplacer 
les regards par des mots.

2020
  • 1.6.25

De loin en loin

Je vois le père au loin,
Il ressemble à une tache
de soleil dans les yeux. 

Il travaille aux taupinières,
point flou persistant, debout
sous l’orgueil du souvenir. 

Je ferme un temps les yeux
comme on serre les poings,
je te vois, de loin en loin. 
  • 31.5.25

Il parait

Il paraît que les vieux chagrins restent sur nos visages, qu’ils tracent leurs sillons, pore après pore, année après année, jusqu’à devenir les chemins de traverse qu’empruntent nos rides pour nous aider à sourire.

2020
  • 30.5.25

La lumière des autres

Il fait un jour plein de la lumière des autres. 
La lueur des gens heureux que l’on voit au fond des yeux venir manger nos visages ; cette lueur-là aime à se balader sans heurt parmi les autres, dont l’humeur tombe trop souvent comme des paupières lasses. Elle résiste à toutes les épreuves, au mauvais temps qui va et qui se pose sur nos joues mais aussi aux petits abandons qui longent les routes et toutes les tristesses qui les traversent.
Il faut s’attarder près d’elle, en prendre régulièrement des surdoses, s’y exposer longtemps pour recharger les sourires. 
Il fait un jour plein de la lumière des autres.

2019
  • 28.5.25

Hissez haut

Il n'avait pas vu la voile se hisser, se tendre vers le ciel comme pour toucher les nuages. Il lui avait fallu se ronger de l'intérieur, pourfendre l'ennemi qui se logeait entre les noeuds de son ventre pour enfin croire au vent. Puis il y eût la vague et ses caprices, la caresse puis la grêle. Le gros grain qui envahit l'écoutille et la marche maladroite d'un homme contre l'adversité. 
Il n'avait pas vu au loin la marée montante. L'immensité de la mer dans l'étroitesse de sa vie. Submergé, il cherchait au pied du mât les étoiles à jamais perdues.

2017
  • 27.5.25

Midi trente

La nuit a chopé une mélancolie, l'a serrée au cou sans arriver à s'en défaire.
Depuis, la matinée a des allures de marin qui ne rentrera jamais au port.

Heureusement, à midi trente, le voisin a entonné La belle de Cadix.
L'après-midi n'a plus qu'à se faire des yeux de velours.

2017
  • 26.5.25

Le réveil

Encore un peu d’obscurité 
pour terminer l’éternité.

Un décibel monte trop haut,
une porte craque – le réveil. 

Un rêve tire sur les bras,
le jour gonfle les joues. 

Retenir ce qui fuit,
l’histoire incroyable de soi.

2023
  • 23.5.25

Cueillir des ronces

Il fait un jour à cueillir des ronces.
Juste pour le plaisir de l’égratignure. La peau éraflée pour à nouveau se sentir vivre. On pourrait couper à travers bois, piétiner fourrés et bauges avec la crainte d’un sanglier tapi sous les hautes herbes. On serait heureux de sentir nos corps réagir à l’approche d’une clairière. Nos mains en sang mais nos cœurs feux de joie.
Il fait un jour à cueillir des ronces.

2020
  • 22.5.25

On voit

On voit la mer
changer de temps,
changer de rôle. 
On voit s’arrondir nos dos,
souvenir des vagues anciennes
et quand elle perce 
à jour nos complaintes,
on voit rouler 
sur nous toutes les pertes.

2019
  • 20.5.25

Le quai

De l’enfance, je retiens le quai surplombant la rivière. Le saut dans la vie que c’était de se dresser debout sur le muret au bord du vide que l’on appelait Espace, à rester là à boire le corps de l’autre, le corps ami sous un soleil qui rendait prétentieux. Petits corps sans esprit à jouer la vie près du précipice, à relever le défi ultime : cap ou pas cap de plonger puis de nager dans la vase jusqu’au bout de la rivière ?
Le quai qui fait grandir : l’espace d’un instant, y revenir est un vertige.

2020
  • 18.5.25

Question

Chaque matin, se demander de la lumière ou de l’ombre laquelle commence la première, à monter pour l’une, à descendre pour l’autre ; et si ce mouvement premier et les suivants, s’imprimant sur le mur à une vitesse croissante, ont un simple but décoratif ou le dessein plus important de bouleverser le monde.
Je me demande ça, puis très vite n’y pense plus.



  • 18.5.25

Rétractile

Le temps se pose sur le rebord de la fenêtre. Le temps est jaune avec des pépiements d’oiseaux dans les oreilles. Le temps picore des miettes de lui-même, s’étire puis se recroqueville, exercice plus psychique que physique. Le temps se moque des oiseaux, des petits rires que font leurs va-et-vient sous son nez. Les oiseaux se moquent du temps jaune et rétractile comme une griffe. Ont-ils seulement conscience d’une fenêtre, de la couleur jaune, de la durée, du type qui les regarde toujours médusé ?
  • 17.5.25

Désordre

Dehors est en désordre,
une main soulevant le ciel
joue avec les lois du paysage.

Ma géographie devient folle,
je vois sens dessus dessous.
À mes pieds rôdent des nuages
et lasse ma tête rase le bitume. 

Vertige en aplats de couleurs,
dehors est en désordre,
saoul comme un tableau cubiste.
  • 15.5.25

fut-il.net