Le souffle de la chambre
8.9.10Dans la chambre baignée par une clarté molle, nous attendons rassemblés en chapelet. Nos respirations calées sur le souffle saccadé qui domine au centre de la pièce, dans un lit qu’aujourd’hui il ne quitte plus. De cette couche descend une ombre vêtue de râles glaives qui tranchent le silence et viennent à chaque délivrance oxyder nos propres respirations. Nous attendons. Personne ne parle, déjà, nous veillons.
Avec attention, maman et mes sœurs se succèdent pour porter dans un verre quelques gorgées d’eau à sa bouche. La déglutir est une épreuve qui échoue souvent pour n’aboutir qu’à une humectation de lèvres, un soulagement infime entre deux respirations éraillées. Et le silence percé de râles reprend après qu’il nous ait lancé un regard sec et torve, mélange d'angoisse, de repentance et de désolation. Les heures d’attente s’égrènent sur cette cadence funeste, vide d’espoir. Chacun de nous, le visage tombé sur ses pieds, abîme sa tristesse sur le carrelage noir et blanc de la pièce.
Une journée entière et sa nuit. Je reste avec ma sœur aînée pour veiller sur le souffle. Dans la cuisine, autour du café qui nous tient éveillés, déjà l’imparfait s’immisce dans nos conjugaisons. Courbés sur la table, nous nous rappelons. Le souvenir s’attarde sous nos langues sucrées de paroles pour ne pas sombrer et sa vie se touille au passé dans le fond de nos tasses. A chaque heure de cette nuit tendue, en alternant, nous ferons une visite dans la chambre pour écouter le souffle léthargique.
Au petit jour, c’est mon tour, la chambre, l’ombre, le verre d’eau et le souffle qui ne brise plus le silence. Papa s’est endormi.