Corps d’eau
18.3.11De l’eau, un corps gorgé d’eau. Incroyable masse que cette eau sous cette enveloppe étanche, trimballée depuis des années comme un tonneau, lourd et mouvant. L’eau comme un océan intérieur, souple aux tempêtes, roide au débordement. D’une mobilité extrême et silencieuse, elle est agitation vitale qui suinte sans cesse, indispensable lubrifiant qui irrigue les sens, roulis métronome qui bât sourd les parois souples du corps en mouvement. L’eau plus présente que la chair, plus importante que la pensée, c’est son action dans un circuit fermé qui donne le tempo, la vague qui expulse ou la mer d’huile qui apaise.
Substance invisible qui glousse dans les entrailles, qui parcourt les organes, lubrifie les nœuds, se fait acide purulent ou douce liqueur. Elle est sensation sur la peau, picotement humide sous les pores, refoulement du trop plein à marée haute. Dans la bouche, effervescente, elle ravale le ras du corps en baveuse d’écume sortie des remous. Sous les paupières, elle annonce l’orage dans un écrin de solutions amères. Puis elle longe les lignes, ravine les visages tandis que le tsunami intérieur perce des trous. Elle trace large, ruisselle en glace sur les joues rouges et abreuve les tranchées arides. Passée la tourmente et après de longs contours de perles, elle s’évapore, rejoint le dedans du dedans et se noie dans d’autres eaux en gestation.
Texte publié initialement sur le blog Petite racine de Cécile Portier dans le cadre des vases communicants du mois de mars.