Jen W. : Les montagnes russes – Expérience 2

30.3.12

Deuxième partie d’un texte écrit par Miriam Ray, galeriste d’art reconvertie (sic), accompagné d’une nouvelle illustration de Richard Bougon.
Première partie ici > Les montagnes russes par Miriam Ray.

EXPERIENCE N°2

Il suffit de connaître un ange. Je suis Jen W et c’est très bizarre d’être Jen W. C’est très banal pourtant. Quand on est Jen W, on ne boude aucune contradiction. Et quand on est Jen W, curieusement, on connaît des anges.

L’un d’eux n’est pas tombé du ciel. Cet ange-gardien là a poussé du sol et m’a soulevée lorsque, très jeune, je m’affaissais. Il dit ne pas se le rappeler. Je le soupçonne de gentiment le feindre. Monangegardienpoussédusol, si rassurant, si inquiétant, m’a offert deux places pour Amadou et Mariam. D’un ange, c’est surprenant. Du sien propre, c’est bouleversant.

Je m’attendais à une longue queue infinie de beaux africains fringants. J’avais pour l’occasion, récupéré de mon sac à main mon permis de conduire et quelques permis de plaisir. En lieu et place de l’élégant ébène, une bande trépignante de néo-altermondialisants dégarnis et de nana délavées qui ont sans doute « troooooop adoré l’Afrique lors de leur séjour en club méd. au Sénégal si sauvage donc si authentique donc si accueillant ; en plus c’est trop super Amadou et Mariam si aveugle si noirs et pourtant si souriants. Un leçon de vie !» .

La salle de concert défoncée par une voiture volante n’a pas reçu un coup de peinture depuis mes années lointaines d’étudiante. Tout me paraît bien long. Je me console avec l’illusion que mon pote, (aux) rose à ses heures, voit les même sujets d’amusements que moi et devine les remarques fielleuses et mesquines qui me brûlent les lèvres.

Ils installent finalement les micros. Un éclairagiste sadique visiblement décidé à nous aveugler, teste des jeux de lumière rudimentaires à coup de gros spots dans nos gueules. Histoire probablement de nous sensibiliser au handicaps des vedettes du soir.

En première partie, un boys band encore vert et déguisé se donne à fond. Et même si tout le monde n’a pas le brio de Kéziah Jones pour se permettre un accoutrement aussi ridicule, leurs voix tiennent la route. En revanche, les « la faim c’est pas bien », « Afrique divisée, c’est triste » et autre « la paix c’est mieux que la guerre », c’en est trop. Je suis sans doute trop vieille pour culpabiliser de trouver ça indigent. Pas assez alter mondialiste pour m’en émouvoir. Ou peut-être simplement trop africaine pour supporter ça.

Il faudra un jour qu’on m’explique pourquoi les morceaux de musique africaine sont si longs. En dépit de tout, leur deuxième morceau n’est pas mauvais. Sans doute leur quart d’heure warholien.

Les stars arrivent, s’installent, entonnent leurs œuvres… Massacre. Quand ils écrivent, c’est une injure à Hampaté Bâ, à Brel, Baudelaire et Malek Haddad, quand elle chante, c’est une insulte aux griots. Dieu, s’il existe, aurait mieux fait de la doter d’aphasie que de l’affliger de cécité.

Arrive un solo inattendu de guitare qui hisse la crécelle à un rang raisonnable d’instrument de musique et dont on espère ne pas redescendre. On se dit que ça y est enfin, ça monte, ça enfle, ça gonfle, ça vient, et puis, non, comme une bite de vieillard, ça retombe.
Elle qui vient de lui dire qu’elle l’aime son chéri comme elle lui demanderait de descendre la poubelle, se tient muette face à son micro en braille, sans contenance ni consistance, les bras ballants. L’inconvénient d’être aveugle c’est qu’on ne peut avoir idée du ridicule de se tenir sur une scène immobile les bras longeant le corps. L’avantage est évidemment cet inconvénient. Comme ils disent « c’est pas bon, c’est pas bon »
Qu’est-ce qui a bien pu faire leur succès ?
Je les soupçonne de ne pas être aveugles. Il y a enfin les expériences dont on peut se passer toute une vie. Celles qui défigurent un moment de grâce.

A suivre : “Jen W. : Les montagnes russes – Expérience 3”


Texte : Miriam Ray - Illustration : Richard Bougon, ses galeries : BoîtesArmée - Gribouillages

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