J’écris pour rien

Le jour n’est pas fini,
que déjà je le pousse
pour m’assoir à sa place. 

J’imagine un soir de cheminée
de fauteuil, avec un bon livre
pour oublier le mauvais sang. 

Le jour n’est pas fini,
j’écris pour rien
juste pour que les jours
continuent de finir
  • 1.11.25

Innocent

Un nuage a couru toute la nuit
après une vieille rancœur,
empilant des couches de suie 
sur un tas de rêves à oublier.

Le jour revient maintenant 
avec ce port de tête altier
qu’on lui connaît, innocent
le nuage autour du cou
comme un trophée. 
  • 31.10.25

J’habite une petite ombre

Le temps roule dans la rue 
au son des butées mécaniques.
écho contre écho entre les murs.

L’après-midi est presque nuit,
j’habite une petite ombre
la ville ouverte à mes pieds.

Je prends un livre, le quartier 
puis le monde – maintenant
tout roule en automatique 
d’un bord à l’autre de la pluie.

2021
  • 29.10.25

Au crépuscule

Deux voix viennent de la rue 
et au crépuscule discutent
de ce que sera le repas du soir. 

Un rôti de veau pour le souper,
un verre de vin pour le pousser
– ou deux ou trois, dit l’une des voix.

Le rire qui les prend alors 
est aussi gras et tendre 
qu’une belle tranche de foie.
  • 24.10.25

Plus qui on était

J’ai dormi léger, une moitié de la nuit. Un pied par-dessus le traversin du temps. J’ai sursauté quand tu m’as notifié. Il était trop tôt. Je ne savais plus qui j’étais. 

J’ai dormi la fenêtre ouverte, avec la pluie pour maîtresse. Serrée dans ses draps gris, elle a cliqueté jusqu’à pas d’heures. Jolie pluie d’une autre saison prise dans un automne brouillon.

Nous avons bavardé sans discontinuer comme de jeunes giboulées de mars. En vérité nous ressemblions à deux vieux amants, un peu couillons. Il faut pas nous en vouloir. On ne savait plus qui on était.

2022
  • 21.10.25

Le béal

Au village, je me demande si coule encore ce ruisseau couleur olive qui longeait la rue droite vers la rivière. 

On l’appelait le béal, simple canal d’irrigation pour les jardins voisins. Mot issu de Besal ou Bial en Occitan, de cette langue qui vient et revient sur mes lèvres poser des sourires.

Au village, je me demande si les enfants  poussent toujours sur le béal ces embarcations de feuilles mortes où naissent les souvenirs.

2019
  • 19.10.25

Alors

Jeudi flambe encore dehors ; la fenêtre, avec ses carreaux d’or, en témoigne.
Le couchant nous ressert sa petite mélancolie pour que les idées s’assoient à la table. Il faudrait plus de deux coudes et plus d’une paire de mains pour soutenir sa tête.
Alors, on prend le temps d’essuyer les reflets, de regarder ce qui affleure, là, sur le bord des toits — bien au-delà des fenêtres et, en même temps, si près.
On prend ce petit éclat de lumière dans l’œil et on replie nos exigences jusqu’à demain.
Ce sera vendredi, alors…
  • 16.10.25

Des ratés

La lampe a des ratés,
il faudrait changer l’ampoule.

De petits soubresauts de lumière,
grésillements dans ma tête,
anciennes incandescences,
vieilles lubies datant des boutons
en porcelaine s’échappent.

J’attends que le filament claque,
ça ne viendra pas.

2023
  • 14.10.25

Cherchons

Quelqu’un tourne autour
du bruit du vent dans l’arbre,
et l’écoute.

Un autre entend le babil
du nouveau-né à l’abri de l’arbre,
et lui sourit.

Autre chose fait que l’œil
qui se lève sur l’arbre reconnaît
une branche de ses souvenirs.

Quelqu’un, quelque chose,
ici ou ailleurs,
contient une densité suffisante

pour que, quelque part,
réside le lieu
de tous les apaisements.

Cherchons !
  • 12.10.25

De l’inutilité d’être

De l’enfance, je retiens l’inutilité d’être parmi les gens, posé là, entre un canapé et une table basse, à faire courir un monde de jouets aux couleurs irréelles.
Ma vision, trop basse et toujours axée sur les hanches de ma mère, scindait l’espace en deux : en bas, un ballet de longues jambes animées par un grand et invisible marionnettiste ; plus haut, un univers de formes et de sons plus intrigants les uns que les autres.
Tout sonnait faux, et les images — la représentation des choses mêmes — ne parvenaient pas à faire leur chemin de clarté.
Quelqu’un, quelque part, lançait des intentions qui jamais n’atteignaient leur cible : des mots, des actes, des silences incompréhensibles, lourds à porter sous un crâne dont la fontanelle ne voulait pas se refermer.
Les heures avaient ce poids, ce mystère des grands, cette impuissance dans le grand chaos qui semblait régir la vie.

2020
  • 10.10.25

Pas si mal

Il n’est pas si mal d’être là,
entre deux pensées fugaces,
le visage clos ni heureux ni triste.

C’est jeter une pierre
dans un puits et attendre
que l’écho remonte,
remonte l’écho qu’

il n’est pas si mal d’être là
à ne rien espérer d’autre 
que la prochaine respiration
où durant, le puits raconte l’eau.

2021
  • 9.10.25

Au bistrot

Je suis au bistrot de Jeannot, avec le Marcel puis le Robert, arrimés au comptoir comme deux esquifs au port, un jour de tempête.
Il y a des coupelles de cacahuètes qui trempent dans l’eau croupie, des cendriers jaunes en triangle avec Ricard inscrit autour.

Il y a de la fumée jusque dans les oreilles, Michel Sardou dans le juke-box, et mon Marcel et mon Robert, ces bastringues, tanguent sur les tabourets avec leurs taches rouges dans les yeux, leurs haleines d’alligators et leur cancer plié entre les dents.
On a de la tendresse pour les olives noires toutes fripées, et pour les salades que racontent Marcel et Robert : à toi, à moi, à qui dira la plus grosse connerie.

Je dénoyaute des souvenirs, peinard, en butant le flipper — celui à afficheurs à rouleaux, avec le chanteur de Kiss au milieu, qui tire sa longue langue.
Je suis là, avec eux, à écrire ces mots, quand ça fait tilt dans ma tête : tant que je suis au bistrot de Jeannot, à claquer les extra-balles du souvenir, le Marcel et le Robert ne sont pas vraiment morts.

2023
  • 7.10.25

On ne va pas non plus

On commencera par confondre
le jour et la nuit,
par s’étendre sur un drap
comme si c’était une barque

ou de l’herbe fraîchement coupée,
ou encore une pensée légère 
qui laisse nos soucis sur le rivage.  

Puis on se dira
que rien de tout ça ne vaut,
qu’on ne va pas non plus
en faire un poème, qu’il vaut mieux
demander au vent de décider.

2019
  • 5.10.25

Tableaux noirs

Tu reprends ces morceaux de rêve
griffonnés à la craie dès le lever.

Ces traces sans aucun sens que le jour
grignote déjà pour se moquer de toi.

Tu reprends les ratures où s'effilent
quelques désirs tombés dans l’oubli.

Le tout placé sous un livre dans l’attente
d’une nuit pleine de tableaux noirs.

2018
  • 4.10.25

Décanter

L’œil s’épuise à force de fixer.
Plus rien ne brille sans cligner
sur le réel, qui m’intéresse peu.

Deux battements de cils
et les paupières se referment
en persienne.
Le jour finit son filtre, la nuit
déposera un songe à décanter.

Au bout restera l’écume,
mince frontière entre le monde et moi :
une essentielle mélancolie.
  • 2.10.25

À ces deux mouches

À ces deux mouches
qui se rapprochent
en se cherchant des ailes
sous le crépitement de la lampe,

je voudrais dire
la tendresse de l’approche
et l’ardeur des enfants
dans les cours d’école,

mais aussi l’automne
qu’elles provoquent
dans le visage du soir.

2017
  • 29.9.25

À table !

Un enfant lance un rire 
et la rue se déplie sur midi. 
L’heure a des impatiences
que seuls les enfants admettent. 

Depuis les fenêtres, la loi 
des couteaux et fourchettes 
fait son œuvre ancestrale. 

Quelqu’un reprend le rire 
comme un cri : À table !
  • 27.9.25

Équilibre précaire

De l’enfance, je retiens cet équilibre précaire dans lequel le monde se tenait. Le monde des adultes et celui des enfants étaient si dissemblables que j’avais l’impression qu’un vent violent les séparait toujours. Le ciel était ce carré de marelle qu’il fallait gagner à coups de caillou, alors qu’il était acquis que seuls les morts pouvaient l’atteindre. Être dans les jupes de sa mère relevait d’une irrémédiable timidité, alors que c’était le seul endroit paisible où les deux mondes s’accommodaient. L’oisiveté était ce vilain défaut qui faisait, le jour, de nos lits les pires lieux de débauche, tandis que, le soir venu, il fallait s’y réfugier le plus tôt possible pour bien s’y reposer.
À quoi bon tenir la rampe pour passer d’un monde à l’autre et y devenir un de ces grands abîmés absurdes : le jour, donneur de leçons, long corps courbé menaçant de son index d’exclure l’enfant du jeu, et, la nuit venue, dans un vain espoir de rétablir l’équilibre, conteur d’histoires merveilleuses au visage badigeonné de tendresse.

2020
  • 26.9.25

Boursouflures

Le matin a des boursouflures sur le visage.
Un air aiguisé comme un couteau de boucher traverse la fenêtre.
D’un coup d’œil dans la rue, je me dis que l’éboueur est trop vieux pour être encore éboueur.
Quatorze degrés pointent le bout de leur nez, comme s’ils étaient de vieilles connaissances.
Sur le balcon d’en face, la voisine a troqué son short contre un pyjama jaune poussin, qui fait office de phare dans le petit jour encore gris.
Je déclare officiellement la saison des plaids ouverte.

2021
  • 24.9.25

Alors…

Je ne sais même pas
qui je suis. Alors,
penser — bien ou mal,
comment savoir ?

Une boule de poussière,
à l’origine de la question,
roule sous le lit, poussée
par le courant d’air
de mon esprit.

Et tout s’emballe.

Je ne sais même pas
qui je suis. Alors…
  • 20.9.25

La nuit n’a pas suffi

La nuit n’a pas suffi.

Je cherche le poème,
qui dirait la fatigue
étalée sur la table.

Un rayon de soleil
complexe
cogne à la vitre.

Je replie des pensées :
aligne, trie, croise, toise.

Me viennent des verbes
sans determination.

Les mots n’ouvrent rien.
La nuit n’a pas suffi.

2023
  • 17.9.25

Ce qui fuit

Je tiens le jour entre mes mains,
un regret un peu flou dans le creux.

Un air de violon échappé d’une fenêtre
lui joue une mélancolie douce.

Je serre les poings pour le retenir,
ressentir un instant ce qui fuit.

Entre les doigts et sous l’archet,
à contrecœur bat le tambour.

2018
  • 15.9.25

Éclat

Un éclat de lumière
ferme la vue de la fenêtre.
Tes yeux se mettent à courir 
dans la chambre, à chercher
une ombre où apaiser le regard. 

Tu brûles du dedans, 
ta peau reste aux abois,
frissons et nouvelle rosée
sur l’écorce de nos mémoires. 

L’éclat d’un souvenir
entrouvre nos draps défaits :
tu parles un peu de la lumière
et de ton feu une joie neuve
s’empare de notre arbre.

2019
  • 13.9.25

Fatigue nouvelle

Le jour descend de son échelle,
avec lui l’absence.

Je pèle une mandarine, 
sous les ongles une fatigue
nouvelle comme la saison. 

Je pèle, épelle ton nom,
dessine les lettres
avec les peaux pleines de jus.

Le jour descend de son échelle
ou bien est-ce d’un arbre,
d’un vieux mandarinier
qui fait de l’ombre.

Tu préférais les clémentines,
je crois — le souvenir fond
sous ma langue.
  • 12.9.25

Le temps est à l’oubli

Comme une embuscade, le jour tombe et le ciel se fend en deux au-dessus des petites colonnes que forment les cheminées sur les toits. Une des baies de la maison d’en face s’éclaire, et un visage derrière les rideaux s’enferme dans leur ombre.
Le temps est à l’oubli. Le temps est au repos, pour une fin de journée que l’on étire dans un soupir d’aise.
Il n’est que dix-huit heures, mais un homme prépare déjà la table du soir : il ajuste une nappe, dispose deux couverts, une assiette, et roule une serviette en papier dans un verre à pied.
Il circule un moment dans l’encadrement de la haute fenêtre, puis disparaît, tandis que l’autre baie vitrée s’illumine d’une lampe jaune pâle. C’est celle du salon, où l’homme s’installe dans un fauteuil pour lire. Il finit le thé froid oublié sur le coin du guéridon. Son regard se perd à travers la vitre et la rue endormie.
Il fait une grimace — qui retrousse son nez et écarte ses yeux — lorsqu’au fond de la tasse il trouve un reste de sucre : une saveur du passé, comme une douceur disparue.
  • 9.9.25

Plus qu’il ne faudrait

La maison, avec ses joues roses, son air frais, tarde à s’éveiller. Sur la table, une tasse de café et un livre ouvert attendent que la journée commence.
Derrière la fenêtre, le vent passe comme quelqu’un. Un oiseau et mon attention au monde s’en émeuvent. 
Un temps de rêverie allume quelques carreaux et des pensées sans but ni durée. La rue s’éclaire lentement, la lumière gagne la table, puis la tasse de café, vient sur le livre pour en déchiffrer les pages. J’en resterai là longtemps, plus qu’il ne faudrait.
  • 7.9.25

Le bras

À l’heure où tout commence à se calmer,
un bras descend sur votre épaule.
Le corps ralentit sous la rumeur,
les bruits sous cloche n’ont plus d’échos.
Si on savait le peser, l’air serait plus léger.
Oh ce qu’il enlève de poids ce bras invisible
qui après le jour descend vous enlacer.

2023
  • 4.9.25

La langue dans le corps

Je me réveille avec la langue dans le corps.
Je veux dire : la langue comme parole, qui s’écrit et court dans le corps.

Un sang pris sous les ongles.
Une bosse sur le front.
Un bouton rouge près de la bouche.
Le cheveu pauvre, le poil rêche.
Un cor au pied, et un pied-à-terre dans le dernier mauvais rêve.

Autant de manifestations de la langue qui puise et s’épuise, de petits abcès sur et dans la peau.
Quand le corps parle trop, rien ne s’écrit sans fracas.

2022 
  • 29.8.25

Les amants

La ville est un puits de lumière. Elle absorbe tout, le ciel et ses oiseaux. Depuis plusieurs jours, ils se sont fait la malle. Ils jouaient sur les murs, entre les ombres tournoyaient, dessinaient arabesques et graffitis dans un concours qui semblait ne jamais s’arrêter.

La ville est belle le matin comme une amante dans son lit. Elle remue doucement et efface tout d’hier. Page blanche avec une envie de recommencer dans les yeux qui la rend attachante. La lumière et l’oiseau reviendront, ce sont de vieux amants inséparables.

2023
  • 25.8.25

Flux

La place donne la note du jour,
assise là sous les grands platanes.

Elle dote la ville d’une portée,
d’une double-croche de paix à saisir. 

J’y lis Woolf dans son flux de conscience,
saute entre ses sons de cloches

et ceux de l’église toute proche
— je vais avec le temps, Virginia.
  • 23.8.25

Moellons

Par la fenêtre, des bouts de murs,
fragments de rue,
fragments d’espaces,
qui tiennent tous dans la tête. 

Des rangées de moellons
se rassemblent sous les ombres,
aussi bien alignés que des soldats
— on dirait qu’ils bougent 
d’un mouvement perpétuel,
absents au regard mais
tenant le chemin aux pensées. 

De quoi écrire une maison
sans se salir les mains
avec cette voix qui construit
des passages secrets.
  • 22.8.25

Qui de nous deux

Un sourire avec les yeux rencontre un visage, et les corps se rétractent : les bras se croisent, les mains cherchent un cou qui se dérobe, l’œil file loin, derrière le paysage. On croit y voir le reflet noir des montagnes et, à côté, nos cœurs plongés dans l’eau de mer. Ce n’est qu’un raté d’ouverture – une panne, une rencontre avortée – qui nous piège dans les plis de l’instant.
Qui de nous deux a effacé l’autre ?

2021
  • 19.8.25

Faire silence

Le jour traîne encore des pieds.
Il faudrait apaiser la mémoire,
tenir l’oubli comme une promesse,
faire silence de tous les bruits,
en appeler à l’oiseau de passage,
et de lui tenter de comprendre
l’envol et la suspension
pour un peu soulever la poussière
qui colle à nos souliers.

2021
  • 17.8.25

Cahin-caha

J’ai vu passer une solitude
avec son charriot d’angoisses.

Cahin-caha,
elle trottait comme une enfant
un premier jour d’école,
les yeux rivés sur ses souliers neufs,

ceux qui brillent trop, et qu’on aimerait vite
salir pour marcher un peu plus droit.

2023
  • 15.8.25

Je cherche une image

Je cherche une image pour dire ce petit vent qui entre par la fenêtre. Léger, doux tandis que les nuages s’amoncellent sur les toits. Je cherche une image à poser sur cette lumière ocre que prend soudain la rue. Les murs virent au jaune, au crème clair. Oscillent entre les deux tons. C’est comme un roulement de tambour mais silencieux. 

Le trottoir sue, les fenêtres gondolent, le jour se recroqueville et trimballe des miasmes. Je cherche une image pour ce qui maintenant se retire. Cette aspiration vers l’extérieur, machine arrière, l’air reflue. J’entends les entrailles des nuages gronder. La faim montre son museau. Je cherche une image qui ne peut être prise par aucun appareil photo. Les couleurs bougent trop vite pour être fixées.
  • 14.8.25

Dans le coin

Je regarde un coin de ciel
se découper entre les rideaux.

Un nuage qui s'effiloche
dessine une herse sur son dos.

Il faudrait caler cette déchirure
entre deux tasseaux pour éviter

qu’elle ne tremble sans cesse
au-dessus de ma tête.

2018
  • 12.8.25

Sur la digue

On a voulu tremper la lune
dans le ciel le plus sombre,

asseoir la nuit sur la digue
comme au bord d’un café noir,

décocher un sourire pour voir
si l’espoir ricochait dans l’eau,

puis on est parti sans rien dire,
une mélancolie sucrée sur les lèvres.

2017
  • 10.8.25

Les sœurs

C'est l'instant attendu :
par la fenêtre viennent
quelques fragments de ciel.

Les soeurs Lumière et Ombre
ferraillent sans rien déranger,
tout en accueil d’autres présences.

La nuit peut venir, elle a son lit.
  • 6.8.25

Exclamation

Un nuage pas plus gros qu’un point passe sous un ciel fragmenté de virgules comme des soupirs. Tu poses ton ombre entre deux rochers. Pour une heure, seul avec la pauvreté du relief, ta langue joue à former des mots comme des ballons qui prendraient de l’altitude. Mais la phrase manque d’air, elle se cache sans que tu parviennes à en extraire le sens. Une vague, quelque inertie plus loin et le poème crie toujours famine. Une virgule attend l’envolée ; le nuage pas plus gros qu’un point, une exclamation.

2018
  • 5.8.25

Un homme sur un banc

Un homme sur un banc souffle sur ses lunettes, pour y faire de la buée. D’un mouchoir en papier puis du revers de sa chemise, il nettoie le verre, le regard porté vers un intérieur de soi.

Au soir, quand baisse la lumière, un homme sur un banc, empesé de nostalgie, d’un geste, d’une façon, que je croyais oubliés au profit d'une lingette à lotion dégraissante, nettoie calmement ses lunettes. 

Allez savoir pourquoi : cet homme m'émeut.

  • 3.8.25

Quelqu’un va

Quelqu’un va dans la rue 
dansant sous le vent léger 
comme le ferait une robe 
entre une paire de jambes. 

Pas de musique mais des pas
cadencés par un ciel métronome.
C’est l’été qui bât son mystère,
joues rouges et talons hauts. 

La mélancolie heureuse sur le pavé,
quelqu’un va dans la rue
en portant sur son dos un baluchon
de mots usés à jeter à la mer.

2021
  • 2.8.25

Visages

Parfois ce sont de vieux visages 
qui viennent trembler à la fenêtre.

Sans s’annoncer, une autre image
remplace le cadre du réel.

Un soleil pour ces autres
sous un mirage les brouille.

Des anciens, des oubliés
revenus de l’œil de la mémoire.
  • 30.7.25

Bleu du fond

Malgré la fatigue des gestes,
les renoncements mal assumés,
le désarroi qui parfois affleure,
ne pas toucher le bleu du fond.

Faire avec les fissures de l'âme
comme si on reprisait nos frusques,
chercher l'aiguille dans la botte,
ne pas avoir peur d'espérer.

2019
  • 24.7.25

Soutenir les ombres

Il fait un jour à soutenir les ombres. 
Nous devrions courir après les arbres. Les sauver des cueilleurs et des bûcherons. Préserver les longues branches que le vent balance. Nous devrions nous liguer contre les climatiseurs. Courir nus dans les prés jusqu’à ce que la soif nous étreigne. S’allonger et dans l’ombre d’un saule pleureur attraper ton sourire. 
Il fait un jour à soutenir les ombres.

2019
  • 16.7.25

Couleur du jour

Le vent prend dans ses bras
les plis et replis de la mer.

La couleur du jour
pourrait être mauve
si on s’attardait 
sur les couches de suie
laissées par la nuit. 

La couleur du jour 
pourrait être fauve 
si on prenait le vent
dans nos bras,
si on le plaquait sur le sable.

2019
  • 13.7.25

Erreur de rêve

Elle est entrée dans mon rêve aussitôt sortie de celui d’un autre.
J’ai vu qu’elle venait d’un autre rêve à sa tête, à son allure, et surtout à sa chevelure blonde.
Je ne rêve jamais de filles blondes — puis son accent n’était pas d’ici.
Je rêve local, habituellement.
Elle portait autour d’elle le décor du rêve précédent, ou d’un rêve simultané — allez savoir.
Un halo blafard l’encerclait.
Elle marchait lentement dans une ruelle sombre.
Elle me scrutait avec bienveillance, mais son regard était encore pour l’autre, le rêveur précédent.
Un blond, assurément, qui devait se trouver désemparé derrière elle, à l’autre bout de la ruelle, planqué dans une porte cochère, à regretter de la voir doucement s’enfuir de son rêve.
Je voyais qu’elle ne se sentait pas à sa place, à piétiner ainsi mes chimères.
Mais, comme deux inconnus qui se croisent avec l’impression de s’être déjà vus, sans savoir quand, comment ni pour quelle occasion, elle m’a décoché un sourire tendre et confus.
Un sourire pour se donner une contenance, parce qu’elle ne savait pas ce qu’elle fichait dans mon rêve.
Elle voyait bien que, même si on s’était croisés un jour, elle ne devait en rien apparaître dans mes rêves — que c’était là, tout de même, un manque incroyable de savoir-rêver !
Elle a marché longtemps — enfin, le temps de mon rêve : quelques millièmes de seconde — puis a disparu, rattrapée par ses propres rêves, au sein desquels jamais n’apparaît quelque homme brun.

2016
  • 9.7.25

Coucher

Cet arbre au dos voûté 
voudrait m’envoyer un message.

Me dire le poids des années
sous des ciels trop pleins de lumière. 

Ou bien m’indiquer la position
à adopter — coucher avec l’horizon. 

Une fatigue, pour trouver la beauté
juste à l’endroit de ses courbes.



  • 7.7.25

Manège

Le manège tourne.

Un camion de pompiers,
un oiseau à hélice,
une voiture de police,
une odeur de poussière,
un pompon à franges.

Un œil suit le mouvement.

Une pomme d'amour
un rouge aux joues,
un peu de sucre,
un sourire perdu,
un rien de vent.

La tête tourne.

Est-ce une fuite
de chevaucher l'enfance ?

2017
  • 5.7.25

Œil fendu

Le soleil rase les toitures de zinc, la ville étire ses longues jambes. Derrière un mur, quelqu’un regarde le ciel comme s’il allait flamber.

L’heure a beau faire la belle, l’angoisse fait son train. Tapi dans l’ombre des tours, quelqu’un racle sa gorge, l’œil fendu face au crime du petit jour.

2020
  • 3.7.25

Plaine

Et c’était mordre la neige,
cette sensation dans le ventre.

Un regard, puis le vide autour,
une plaine où l’on perd la voix,

tant le froid envahissait la parole,
dérèglait les sens, quand tu es partie.
  • 2.7.25

fut-il.net