Les rats taupiers

29.8.09

image C’est une journée extraordinaire. Un dimanche où nous recevons mes sœurs et leurs conjoints. Maman a mis les petits plats dans les grands. Papa a sorti sa meilleure bouteille de vin. Il faut dire qu’ils ne viennent pas souvent. Depuis que les jeunes mariées sont parties de la maison, peu de visites à la maison mère. Je ne leur jette pas la pierre. L’ambiance familiale n’a jamais été propice à des visites régulières.

Ma sœur aînée Martine arrive la première chargée d’une plante verte qui ravit Maman. Mon beau-frère René dont la bonhomie inspire la confiance m’accorde quelques minutes pour prendre de mes nouvelles estudiantines. Papa est encore au bistro. Comme d’habitude, il se réserve le droit d’arriver le dernier pour ne pas montrer son impatience à revoir ses filles. Line, ma sœur cadette, arrive un quart d’heure plus tard avec son gendarme de mari. Il ne manque plus que le chef de famille pour commencer l’apéritif.

René et Alain devisent sur les derniers résultats de foot. Line et Martine se retrouvent et prennent des nouvelles de leurs enfants respectifs. Maman est encore affairée aux fourneaux. Elle scrute le gratin dauphinois traditionnel pour qu’il ne brûle pas. Je suis au milieu de cette famille recomposée pour un jour, hagard et contemplatif. Papa arrive et salue avec un large sourire sa progéniture rassemblée.

L’apéritif déride les visages, accélère les paroles, brouille les pistes d’une gêne évidente. Une fois à table, papa relance ses histoires de vignes, de vin, de copains de bistros. Ce jour là, enclin à l’écouter malgré les perpétuelles redites, mes sœurs et moi buvons ses paroles avec sincérité et admiration. Nous nous amusons, quelque peu cyniques. Nous le brocardons et il répond avec bienveillance à nos sarcasmes de gamins. Au milieu des ses propos, une anecdote nous interpelle. Il nous conte ses techniques peu orthodoxes de capture des rats taupiers. Ces petites bêtes ravagent chaque année son stockage de pommes de terre caché dans la cabane sur les hauteurs de la grande vigne. Interpellés et amusés par l’animal décrit – nous n’avions aucune connaissance de l’existence de la bête – nous renouvelons nos piques sympathiques. Il s’en amuse et je suis ravi du second degré que la discussion prend. Avec force de détails, il nous enseigne sa méthode consistant à verser dans un seau de vendanges des graines dont les rats taupiers raffolent. Les petites bêtes ainsi attirées dans le récipient sont prises au piège, ne pouvant sortir du seau après s’y être laissées glisser avec négligence. Il passe relever les seaux un fois par semaine et s’enorgueillit de son butin.

Ce dimanche là, autour des rats taupiers, j’ai trouvé un instant rare, trop rare. Un rêve peut être. Mes sœurs sont reparties le cœur léger. Mes beaux-frères, les bras chargés de bouteilles de vin. Maman est passée à côté, je crois.

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