Un Gérard ambigu
18.11.09Gérard n’a pas l’air en forme. Je le croise furtivement dans les couloirs sombres de notre entreprise. Un « bonjour », un « comment ça va ? » et nous passons avec dans nos regards respectifs, de l’interrogation pour moi, de l’envie de parler pour lui ; le moment ne se prêtant jamais à une discussion calme et réfléchie.
Mardi dernier, à l’occasion de la révision de son véhicule de fonction, nous voilà tous les deux sur la route en direction du garage. Je l’accompagne dans un autre véhicule et me perds dans des pensées post-prandiales puis, me recentre sur son histoire avec Barbara. Je ne sais pas pourquoi mais leur idylle tordue attise mon côté voyeur. Je décide donc, lors du retour, de m’enquérir des nouvelles de la belle et de la bête.
Nous arrivons au garage vers quinze heures. Nous patientons à l’accueil dix bonnes minutes en écoutant la réceptionniste de l’atelier détailler au téléphone ses histoires de cœur à sa meilleure amie. Je m’aperçois que mon Gérard se décompose sous mes yeux. Il est blême, visiblement fatigué. Je n’arrive pas toutefois à lui parler. Entre ses coups de téléphone incessants et la voix nasillarde de la demoiselle au babillage frénétique, la cacophonie empêche toute amorce de soutien ou de discussion. La pipelette raccroche enfin et daigne nous demander l’objet de notre présence. Je fais les papiers nécessaires à la prise en charge du véhicule et nous repartons très contents de savoir que Mireille s’est tapée Fred dans les toilettes du Macumba samedi soir.
Sur le chemin du retour, j’évoque Barbara dès les premiers kilomètres. Il reste évasif encore une fois, marmonnant dans sa barbe quelques « mouais » suivis de mots impénétrables. Je change alors de discussion et nous parlons de choses et d’autres. A nouveau du boulot, puis de sa sœur hospitalisée. Un froid. Nous relançons nos babillages sur la grippe porcine devenue mexicaine au bout de deux jours pour finir simplement par se voir affubler d’un « A » étrangement dénué de signification. Le sujet de la belle Barbara est sous-jacent. Nous avons envie de l'aborder mais aucun de nous ne sait vraiment comment s’y prendre.
Je coupe court à notre plate discussion et lance faussement énervé : « Et Barbara ! Bordel ! ». Un sourire, puis deux, puis il se lance dans un monologue inhabituel. Il me surprend avec une longue tirade sur l’inconscience de la belle, son immaturité, sur une pseudo histoire avec un garçon de son âge, sur l’incapacité dudit garçon à la rendre heureuse etc…etc… Je l’écoute, le regarde et je me questionne en silence. « Ne serait-il pas en train de se prendre pour son père ? »
Il se calme et je lui fais part de mon interrogation silencieuse. Il sourit encore et je pousse plus loin mon raisonnement. Je lui avoue mon inquiétude à la vue de ce sentiment d’amour contrarié. L'ambiguïté amant-père ou fille-maîtresse peut créer, de façon certainement inconsciente, une levée incestueuse dans leurs esprits. Je m’empresse de lui dire que mes propos n’engage évidemment que moi. Il ne dit rien. Il ne relance pas. Je me tais évitant ainsi de surenchérir sur ma psy de comptoir.
Nous arrivons au bureau et nos chemins se séparent. Barbara l’attend devant le portail du hangar. Leurs regards chauds se croisent. Je disparais.