L’armoire métallique
11.1.10[ Entre la cave et le salon ] La cave. Le salon. Le silence. Maman suivait toujours la sortie traditionnelle de papa en levant les yeux au ciel. Entre deux œillades appelant le divin à lui expliquer de tels agissements dédaigneux, elle me regardait avec insistance dans le secret espoir que je cautionne son agacement. Je faisais mine de ne rien voir. Je lui tournais le dos et m’avachissais sur la table du salon avec hâte qu’elle déguerpisse.
La cheminée ne flambait plus. Les publicités criardes s’enchaînaient à grand renfort de slogans consternants. Pour chacune d’elle, elle soulignait sa contrariété d’un nouveau grognement d’indignation. A la fin de chaque spot, j’aurais voulu un geste, un mot, une discussion. Mais j’avais fini par ne plus y croire. Tout juste, espérais-je qu’elle se lève de son fauteuil pour me dégager de son humeur pesante et ainsi me laisser libre de tous agissements.
La tirade publicitaire se terminait. D’un appui lourd de ses mains sur les accoudoirs, elle soulevait son corps avachi et repus d’anxiété. Elle décidait enfin de sortir de sa torpeur pour parfaire son fiel dans le creux de son lit. Enfin seul. Je restais un instant à l’écoute de la maison, guettant ses pas feutrés dans l’escalier qui la menait à sa chambre, Quelques crépitements de braises. Un claquement de porte. Je baissais le son de la télévision pour m’assurer que la maison fut bien endormie.
La cave. Je remontais légèrement le volume du poste pour masquer mon déplacement et feindre ma présence dans la salon. La porte franchie, je me retrouvais dans le couloir plongé dans le noir absolu. Je restais quelques secondes suspendues à scruter l’espace comme un cambrioleur, mes oreilles et tous mes sens à l’affût du moindre bruissement. Aucun son incongru, aucune lumière ou déplacement inopiné ne pouvait m’échapper. Mon cœur accélérait sa cadence, mes tempes bourdonnaient. Je m’apprêtais à braver l’interdit. J’entrais dans la cave.
A gauche, un vieux buffet dont papa avait escamoté la partie haute. Posée sur le bahut, une armoire métallique plus haute que large. Sur sa porte, un vieux miroir piqué et voilé reflétait mon visage de façon convexe. Ma tête s’élançait brusquement vers le haut et me donnait l’impression d’avoir l’occiput déformé. Je souriais et assortissais cette image de grimaces malicieuses. Passé ce jeu espiègle, je m’apprêtais à ouvrir l’armoire des secrets de papa.
La clé du coffre inviolable était dissimulée dans le premier tiroir du meuble porteur. Je la trouvais toujours enveloppée dans un vieux chiffon au milieu de ciseaux rouillés. J’avais découvert depuis longtemps la cachette à force de furetages soutenus. Chaque fois, cet instant m’emplissait d’excitation et de crainte. J’ouvrais l’armoire curieux des nouvelles découvertes que j’allais faire.
A suivre.