Le dilemme

18.1.10

image[ la découverte ] La chute de la petite armoire du haut de son bahut jusqu’au sol dur de la cave avait révélé une indiscrétion de taille. Je restai un instant songeur et partagé. Elle recelait bien un trésor enfoui. De ceux qui animent la curiosité, qui permettent la découverte de l’autre à son insu et dévoile l’intime imprudent. Excitant. Mais voilà il s’agissait des secrets de mon père, et la main mise sur cette enveloppe verte au parfum de romance semait en moi le trouble. Le bien ou le mal. Seul dans la nuit, assis en tailleur et les étagères désossées à mes pieds, j’avais dans les mains un auguste dilemme.

Je décachetais au risque de modifier à jamais la vision de mon géniteur ou bien je remontais l’armoire, replaçais la missive secrète dans le double fond et gardais le silence sur cette péripétie. Il me fallait prendre une décision. Ma réflexion de gamin ne m’apportait pas de réponse satisfaisante. L’enfant sage interpellait l’adolescent rebelle et réciproquement. Tiraillé entre les deux hypothèses, je remontai les étagères dans le meuble et le reposai sur son buffet. Une fois son contenu revenu en bonne place, la lettre sur le sol n’attendait que ma décision.

Il était tard. Mes yeux clignotaient dans la pénombre de la cave et le sommeil m’arrachait de ma piètre réflexion. Devant moi, la petite armoire remise de sa chute. Dans son creux, paradaient à nouveau l’absinthe et les Gauloises brunes comme autant de béquilles affectives. A mes pieds, dans cette enveloppe verte, se blottissait peut être l’amour, le vrai, celui que maman et papa avaient oublié. J’avais à cet instant une vision sommaire mais cohérente de la vie de mon père. Une partie réelle et obscure faite de paradis artificiels, l’autre imaginaire racontée dans une lettre que j’hésitais à lire.

Au fond de la cave, un verre posé sur l’évier en granit et dans un vieux carton sur la dernière étagère, quelques vieux briquets abandonnés. Mon regard tourbillonna pris dans les volutes électriques d’une envie irrépressible. De la fiole d’absinthe au verre, des briquets à la Gauloise, il n’y avait plus que quelques gestes automatiques. Et c’est avec une liqueur verdâtre dans la main et une cigarette à la bouche que je retournai dans le salon. Après avoir réanimé le feu endormi dans la cheminée, je m’installai dans le rocking-chair patriarcal. Je sirotai  en grimaçant le breuvage à l’anis fortement alcoolisé tandis que chaque bouffée nerveuse manquait à m’étouffer. A sa place, à ma place, je basculai amplement sur le fauteuil et tout aussi largement dans l’ivresse.

Je m’endormis. « Pour toi, mon Papa ! »

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