Alvin le web-addict (2)
25.3.10[ Alvin le web-addict (1) ] D’un revers de la main, il frappe le buzzer de l’appareil. Il est midi et dans son petit village, le clocher sonne les douze coups. Encore une demi-journée de perdue à défaire sa nuit de veille cybernétique. Il se lève péniblement, enfile rapidement un caleçon qui traîne au pied de son lit. Premier réflexe matinal, il tapote le touchpad de son netbook posé sur sa couverture. Une fenêtre ouverte sur son monde s’éclaire. Litanie du matin, il vérifie ses mails, dépose un statut facebook et un « good morning Twitter » sur le site de micro-blogging. Un temps hagard, il lit en diagonale les publications des heures passées sans lui. Il cherche, consulte les profils des habitués et descend enfin dans la cuisine pour prendre son petit déjeuner. La journée peut débuter. Il va rejoindre son petit travail à mi-temps, job alimentaire qui permet à ses nuits numériques d’exister.
Le bus et quelques minutes de marche puis il rejoint son bureau. Posé là sur son plan de travail, une lucarne sur sa vie. L’écran de son ordinateur professionnel fait le lien avec son univers. Le clavier constitue le prolongement naturel de son appétence numérique. Jamais coupé, toujours connecté, Alvin vit sa virtualité nuit et jour. Son emploi monotone lui laisse de longs moments libres où il peut entretenir le jeu de ses dialogues incessants. Du plus futile bavardage au plus sérieux commentaire, il compose et réunit autour de lui une force décuplant ses élans. Il s’est forgé au fil du temps une image reconnue mais évanescente et imperceptible pour le non-connecté. L’avatar d’Alvin est devenu plus fort que sa personnalité réelle. Son être se confond et se complait dans cette schizophrénie virtuelle et son identité numérique exacerbée a pris le pas sur ses activités quotidiennes. Il vit dans le nuage, le « cloud », absorbé par les pixels comme autant d’élixir de jouvence. Rien ne lui résiste. Il est précepteur de son destin. Il maîtrise le flux.
Le flux. C’est ainsi que les geeks l’ont baptisé. Cet immense flot d’informations perpétuel que l’internet génère sans répit. L’allégorie maritime est bien avérée au regard des indénombrables contributions qui voguent telles des bateaux ivres à la recherche d’un port d’attache inconnu. Certes les participations d’Alvin ne sont que quelques gouttes d’eau perdues dans cet océan d’informations. Informations produites, relayées, malaxées par des milliers d’individus connectés en quête de partage et d’exposition. Mais il est dans la place, il est de cette tribu des propulseurs, se réclame et se reconnaît de cette population hyper-connectée. Des virtuels vertueux. De ceux qui font le flux.
La journée passe entre menues tâches rapidement effectuées et connexion permanente dans l’agitation pernicieuse du web. Alvin connaît ses limites et la fatigue qu’engendre cet acharnement à exister au-delà du réel. Mais il continue à consommer à outrance de la matière numérique comme un alcoolique penche sur sa bouteille à toute heure de la journée. Seul et pourtant si proche de tout le monde. Tellement présent dans cet abîme digital et absent pour les autres, les ignorants non-connectés. Il n’y a rien qui puisse le faire revenir en arrière. Il est englué, pris au piège de cette addiction galopante. S’en rend-t-il vraiment compte ? Veux-t-il vraiment sortir de cet antre qui le maintient et qui donne sens à sa vie ? Il ne sait pas. Il ne sait rien. Mais quelqu’un parmi ces innombrables contacts sait et va faire basculer sa vie.
A suivre…
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