Capture
17.3.10Grand, vaste, majestueux, j’aime me balader dans les lieux publics. Surtout les halls de gare. Toujours une multitude de gens fourmille dans ces endroits de transition. Lents d’un pas hésitant ou agités par une marche véloce, la foule interchangeable circule sur un plateau vivant où chacun se croise sans jamais se rencontrer et repart ensuite jouer son rôle ailleurs. Forme concentrique d’une société qui se côtoie mais ne se connaît pas, la diversité humaine est présente, visible, olfactive et pourtant si muette.
Moi, j’aime regarder ce ballet en quête de capture.
Les badauds aux allures absentes contemplent les vitrines. Madame est séduite par le dernier tailleur Dior tandis que monsieur lorgne sur les derniers mocassins Weston. Puis tous deux, têtes baissées, repartent frustrés par les affichettes mentionnant des sommes prohibitives. D’autres me dépassent rapidement. L’un d’entre eux me bouscule. Col blanc et attaché-case, il se retourne brièvement et, d’un rictus serré, marmonne une excuse que je n’entends pas. Il continue sa course, la tête empêtrée dans je ne sais quel dossier urgent qu’il va inévitablement bâcler lors de son prochain voyage.
Moi, je continue en quête de capture.
Plus loin un groupe d’adolescents de retour d’une classe verte chahute prés du bar. Foule dans la foule, ils sont unis ou du moins le semble-t-il. Une tribu homogène dans la masse impersonnelle et anonyme des voyageurs. Je les frôle, vais jusqu’à pénétrer dans leur bulle mais ils ne me remarquent pas. Tout juste me regardent-ils d’un air méfiant. Je ne fais pas partie de leur clan mais du décor. Un passager inconvenant comme les autres. Somme des inconvenances qui ne forme finalement que la banalité des lieux. Une jeune fille sourit puis glousse à l’écoute des blagues salaces de son ami pour terminer en éclats bruyants qui résonnent dans l’enceinte. Rire tonitruant qui ne transmet rien, qui ne touche personne. Les passants s’écartent du groupe, filent les yeux révulsés dans les couloirs perpendiculaires pour éviter la contagion d’un rire au risque communicatif.
Moi, je continue en quête de capture.
Je m’écarte et m’extraie du groupe puis je la vois arriver. Démarche féline, dandinement de top-model, elle regarde droit devant, les yeux fixes et le sourire glossy. Semblant compter ses pas, elle lance ses jambes en avant avec une grâce désinvolte. Chevelure blonde sur talons hauts, nulle part ailleurs, elle aurait été assaillie de regards indiscrets, avides voire passionnés. Ici, rien. Dans ces lieux, même une telle beauté surnaturelle passe inaperçue. D’un geste élégant, elle remonte son sac à main sur son épaule avant de rafraîchir sa coiffure du revers de la main. Elle dégage son trolley pour faciliter le passage entre deux rainures du carrelage et s’avance vers moi. Bon sang, personne ne la voit ! Je la contourne au plus large pour qu’elle ne me remarque pas. Fais mine de partir dans le sens inverse et me retourne…
Et là, dans son dos, moi, je la capture.
Ce texte répond à l'invitation du Coucou et de Dedalus à participer au Jeu d'écriture n°3 initié par Madame Kevin.