Alvin, de lui vers C. (6)
6.4.10[ Alvin, de lui vers C. (5) ] Aucune identité véritable ne transparaît sur le blog de Cassandre. Comme pour Alvin, la seule représentation éventuelle de la web-dreameuse est une photo placée discrètement dans l’entête de sa page d’accueil. Un visage féminin et deux mains qui l’entourent. Les mains de Cassandre ? Son visage ? Rien ne le précise. Les avatars représentent rarement l’auteur d’un blog. Certains même affichent la photo de leur star préférée, joueur de foot ou héros préféré de BD, laissant par cette discrétion physique planer le doute sur leur visage, leur âge ou plus largement leur apparence générale. La peur suscitée par l’internet et amplement relayée par les médias traditionnels est certainement la cause première à cet anonymat. Pseudo et avatar sont devenus les garants d’une posture incognito. Chacun se cache, se protège derrière un sobriquet et une image plaisante. Bien que ce phénomène tende à se réduire avec l’arrivée massive des réseaux sociaux sur lesquels la véritable identité a fait une entrée fracassante, les blogs personnels sont encore sous couvert. Malgré l’exposition intime dont ils font souvent l’objet, le nom et le visage de l’auteur sont toujours très peu communiqués. C’est un fait, ces endroits virtuels où « l’extimité » s’étale demeurent l’antre du secret physiologique. Evitant ainsi de se faire démasquer par un proche qui ne verrait là que salamalèques indignes, cet anonymat rassure le blogueur qui peut se livrer sans vergogne à des confidences ou divagations diverses.
C’est bien sous ce voile virtuel qu’Alvin chronique la vie depuis des années mais en est-il de même pour Cassandre ? Comment savoir si c’est bien elle sur cette photo ? Si ce visage juvénile et opalin posé sur deux mains lisses et longues est bien le sien ? Si seulement il osait entrer en contact, il saurait. Mais Alvin de mal en pis persévère dans sa rêverie. L’avatar de Cassandre fait partie du blog au même titre que les textes qu’il contient. Il clique, zoome sur l’image pour en apprécier les détails. C’est elle ! Il s’en persuade avec force. Il surligne avec le pointeur de sa souris les traits de son visage, examine le grain de sa peau. Il sourit. Quelques transparences seront modifiées avec Photoshop, se dit-il. Les yeux rivés sur l’écran, il dézoome et s’attarde désormais sur les mains fines et élancées, parcourt chaque doigt. Observe ses ongles longs légèrement enfoncés dans les arrondis douillets de ses joues. Il rentre en transe devant son clavier. Copie puis colle la photo dans son éditeur, appose plusieurs filtres pour mettre en valeur le cliché. Pose du vermillon sur ses pommettes, ajoute du vert à son col de chemisier. Il joue avec dextérité de la palette graphique pour fabriquer ce qui devient peu à peu sa muse. Une fois satisfait du résultat, il s’avachit sur son fauteuil, allume nerveusement une cigarette et admire sa C. magnifiée par ses coups de pixels. Deux bouffées de fumées et il clique fiévreusement sur son navigateur web, ouvre la fenêtre de publication de son blog et écrit d’un seul trait son billet du jour :
« C. mains prudentes, en flottements, pour nous rapprocher peau contre peau, en apaisements, pour nous purifier de nos quelques maux. C. mains réfléchies, en caresses suggestives pour effleurer nos émotions, en flux ouverts pour reconquérir nos attractions. C. mains actives, pour renouer avec le plaisir et éveiller nos sens assoupis, pour animer nos émois et accomplir nos désirs enfouis. C. mains mutines, pour découvrir les abscisses secrètes de nos plaisirs, pour enfin percevoir en ondulation l’éclat de nos soupirs. »
A suivre…
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