Attente en gare
12.7.10Je me pointe comme chaque semaine à la gare de Béziers après demi-heure de voiture. C’est l’hiver, dix-huit heures et déjà la nuit imprègne les murs sourds du hall. Peu de monde, c’est un dimanche nu de janvier, des dimanches où on ne voyage pas. Au centre, suspendu au plafond, l’afficheur des départs et des arrivées diffuse une lumière rouge agressive. La nuque dressée et les yeux plissés, je parcours les lignes fluorescentes, cherche le 18h12, de voies A à D, du quai 1 à 7. Le corail n°4578, c’est celui-là, c’est le mien, celui qu’il ne faut pas que je rate ! Retard annoncé qui clignote comme un avertissement de danger, c’est la seule indication : pas de voie ni de quai, aucune correspondance. Pour l’instant, l’afficheur reste muet, mon train n’existe que par son retard.
J’avance. Aucun banc dans cette grande salle, je cherche un endroit pour poser mes guêtres. Des locataires habituels entourent un pilier. Assis, ils étirent leurs jambes sur le sol crasseux. Ils sont quatre, deux hommes, une femme et un chien. On dirait qu’il n’y a que le chien de libre, eux semblent prisonniers volontaires, attachés en corolle au pylône, greffés par le dos et anesthésiés par les cannettes de bières qui jonchent le sol. Je fais pareil, me trouve un pilier et me tire un coca au distributeur. Mon sac blanc de mataf comme moelleux coussin, je m’adosse au pilier voisin, juste en face des squatters avachis. J’en suis aussi, je suis des leurs, de ceux qui sont souvent dans des endroits de passage, à attendre. J’en suis, enfin presque, je les mime : eux n’attendent plus rien.
Et l’afficheur de bouger ses cristaux liquides, le retard n’est plus annoncé et une voix de crécelle percute les murs après trois notes de musiques monocordes : « le train corail N°4578 entre en gare quai n°1 voie 7, éloignez-vous de la bordure du quai, ce train dessert… ». Narbonne, Carcassonne, Toulouse Matabiau, Bordeaux-St-Jean… Litanie de villes qui m’éloignent déjà de mon pilier. Je ne bouge pas, pas envie. L’annonce est à nouveau diffusée, complétée et dans son impulsion double l’effet de langueur. Le billet, ne pas oublier le compostage obligatoire. Il faut partir seul, l’accès aux quais est réservé aux voyageurs. Une chance, on peut dormir, le train couchette est disponible voiture 6. En face, les squatters ne bronchent pas, ils dorment et le clebs me regarde. Soudain, la voix se tait mais le silence des murs est brisé. Le train se glisse dans la gare dans un grincement de métaux lourds et un ronflement d’air pulsé bat sous mes pieds. Il est 18h25. Je ne bouge toujours pas. Le chien vient vers moi, langue pendante, tourne autour du pilier et s’assoit sur mon sac. Il n’attend rien, moi non plus. Et si je ne partais pas ?