Les vieux sur le perron

20.9.10

imageIIls se retrouvent sur le perron de l’église. Ils ne sont pas de preux croyants à s’installer ainsi pour prier un quelconque dieu. Non, ils se réunissent là entre deux marches pour discuter de la météo, des derniers ragots du village, du décès d’un ami ou de l’arrivée d’un étranger. Mais, avant tout, ils viennent tous les jours, à l’heure des vêpres, tenir politique et tuer le temps de la retraite.
C’est un point de ralliement où nul n’a besoin d’être annoncé. Tout le monde est le bienvenu pourvu qu’il soit natif du bourg, réac et doté d’une langue bien pendue (fourchue est un atout supplémentaire). Il y a le bossu, le négus, l’ancien boucher et le vieux notaire, ils forment le noyau dur, les cadres du « club ». Un club aussi ouvert qu’il est étroit d’esprit. On les rejoint pour prendre le pouls du village, avoir des nouvelles de la santé de la doyenne, connaître les derniers commérages et on repart avec un cours de citoyenneté appliquée, le sourire aux lèvres.
Le bossu, dans sa posture courbée, est le spécialiste politique. Il n’est jamais aussi bon qu’à la sortie du bistrot. Imbibé de pastis mauresques, il devient un fin commentateur des dernières saillies du gouvernement. En ceci, sa devise pourrait simplement se résumer à : « de toute façon, tous des pourris et compagnie ». Le négus, de son surnom étrange emprunté à un souverain exotique, connaît tout le monde et, au fil du temps, s’est imposé comme le roi du ragot. Ses tirades racoleuses dans un style « Voici » local ne manquent jamais d’annonces truculentes, tromperies conjugales ou dénonciations perfides sur tel ou tel notable. L’ancien boucher et le notaire referment le carré magique. Installés en position de contradicteurs factices, ils ont pour mission d'haranguer la foule des curieux et d’installer le faux débat en haussant la voix ou en criant au scandale éhonté.
Et pendant des heures, se déversent lieux communs et fadaises dans une ambiance bon enfant. Chacun s’invective avec tendresse, connaissant parfaitement la position de l’autre et ne voulant surtout pas qu’il en change. Le vieux notaire parle avec emphase comme un texte de loi, le boucher tranche dans le vif tandis que les deux orateurs despotiques déroulent et renchérissent leurs monologues étriqués. Mais, dans cette assemblée de « sages », se perpétue l’oralité, lien entre les générations qui s’installe dans le verbe, beaucoup plus que dans le fonds. Peu importe le sujet et l'ineptie des propos, c’est de transmission dont il s’agit. Un jeu où le plaisir de celui qui écoute réside à effacer la confrontation des positions stupides pour laisser entrer la chaleur d’une logorrhée fraternelle.

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