Je retourne là-bas
19.10.10Souvent, je retourne là-bas, dans le village où j’ai grandi. Généralement, je ne fais que passer, n’emprunte que la grand-rue qui me mène chez maman, puis ce jour là, j’ai eu envie de faire le tour des rues dans lesquelles je traînais enfant.
Plus de vingt ans et je retrouve la « promenade » comme je l’avais laissée, longue place au centre du bourg bordée de platanes plusieurs fois centenaires. Ce n’est rien vingt ans pour un arbre, même pas une ride d’écorce, rien de la vie d’un homme ne peut marquer un arbre. Ils se dressent encore, fière nature, pour abriter du soleil les joueurs de pétanque. Sur le terrain de poudre jaune, les règles et les coutumes ont échappé au temps et aux jeux électroniques : tu tires ou tu pointes - « fanny » paye à boire - allez, on fait la belle… Bien sûr, certains joueurs ont vieilli, des nouveaux inconnus se sont ajoutés, fondus dans les habitudes et les logorrhées méridionales : mesure ! Tu verras que j’ai le point, ça se voit comme un nez au milieu de la figure, con !
Rien n’a changé. Etonnante permanence alors que tant de choses se sont passées depuis mon départ, est-ce que mon village me reconnaît ?
Je passe entre les rangs, mon visage ne leur est pas inconnu, vaguement, mais aucun nom ne vient. Je les salue et un sourire les étreint quand ils reconnaissent le fils Sanchez, oui, le fils de Marcel. Quelques politesses et je continue mon chemin, allées Gaubert et ses marchands de matériaux, briques et grandes palettes de sacs de ciment, notre lieu de prédilection pour jouer à cache-cache. Je flâne, remonte l’avenue d’Assignan, tourne dans les rues des Rosiers, m’arrête un instant devant l’ancienne maison éternelle de mes parents où deux grands-mères sur le perron me regardent d’un œil étranger. Je lance un bonjour sans réponse. Je poursuis et quelques mètres plus tard je les entends dans un murmure se questionner sur mon identité.
Rien n’a changé mais je ne suis plus des leurs.
Rue du canal de l’Abbé, fin cours d’eau qui la longe, branchages et boules de platane qui flottent comme auparavant lorsque nous faisions des courses de bateaux, les playmobils à califourchon sur les morceaux de bois. Je redescends au cœur du village par les ruelles, rue Droite puis la place Barbacane et le banc du club où encore tous les soirs se retrouventpour refaire le monde les voisins gouailleurs. Je saute le pont du Vernazobres et remonte le quai de la Trivalle, premiers coups de pédales sur cette rive avec mon tricycle rouge, premier flirt assis sur le parapet main dans la main avec ma fiancée. Rue de l’Hospice, le numéro six, la maison où j’ai vécu, souvenirs qui abondent dans le désordre, brouillés par leur nombre et leur densité, ils se dessinent décrépis sur la façade, je ne vais pas les chercher, ceux-là m’accompagnent toujours.
Je repars vers la ville, route nationale qui file du village. J’ai fait le tour en quelques heures de mon passé, rien de précis, rien d’exceptionnel mais une impression de temps décalé dans ces rues, lieu et espace suspendu à des vies rangées qui défient le changement. Sans moi.