Une saloperie déterminée
12.10.10C’est ma sœur qui m’appelle, la voix anxieuse. Le médecin de famille veut nous voir, le plus vite possible. Je ne pose pas de questions et la retrouve quelques heures plus tard. Nos yeux se croisent, savent déjà je crois. Nous entrons dans le cabinet, la salle d’attente, et seuls, sans plus de conversation que la pluie et le beau temps, nous patientons la tête basse sur les plinthes grises des murs.
Docteur B. entre, sacoche en cuir élimé, la tête ébouriffée, il revient de sa tournée matinale. Il nous salue le regard fuyant. Ses pas qui claquent sur le carrelage noir moucheté de blanc - le même qu’à la maison - et il entre dans son bureau, referme la porte pour quelques minutes. Ce n’est pas l’attente qui nous gêne, si nous pouvions repartir et oublier. C’est la confirmation de nos pensées que nous redoutons.
Dans son bureau, il nous fait asseoir, regarde un instant nos visages défaits, ouvre un dossier, tourne quelques feuilles puis esquisse un sourire de médecin. Il l’a vu hier, nous dit-il en enfilant sa blouse blanche. Il s’est plaint de maux de ventre, de vertiges et mon diagnostic est clair. Aussi clair que nos visages s’assombrissent, papa a le cancer. LE cancer pas UN cancer, pas une maladie bénigne dont on se remet le lendemain, non une saloperie aussi déterminée que son pronom l’indique.
Nous saluons le docteur B. Etrangement, nous le remercions. Sur le trottoir, abasourdis, nous nous séparons après avoir convenu des choses à préparer pour l’hospitalisation. Puis plus rien jusqu’à la fin, autant lui que nous, nous ne prononcerons plus le nom de la maladie.