Vers le métro
21.10.10 Débarqué à la gare de Lyon, le grand souffle de la ville m’a pris dans ses tentacules invisibles dès la descente du train. Quelques pas sur les quais et je suis déjà happé par un débordement grouillant, aspiré par la houle du grand hall où des centaines d’hommes fourmis forment des vagues autour des panneaux puis filent dans leur cavité respective. Incertitude des pas, hésitations timides, j’ai l’impression d’être le seul à ne pas savoir où je suis, où aller. Je monte, descends des escaliers mécaniques froids, garnis de spécimens bondissants qui veulent rouler plus vite que l’automatisme et franchissent les marches deux par deux. Ils se déplacent tels des robots. Ils pourraient avancer yeux fermés, eux connaissent leur chemin. Moi, je suis perdu et les regarde anxieux me dépasser, me bousculer au lieu de lever la tête. Car c’est dans les hauteurs que tout se passe, que tout s’éclaire. Perchés sur des poutrelles métalliques, mon chemin se trace, il suffit de me laisser guider par les indications, flèches et contours à emprunter. Je cherche et identifie les symboles. Il me faut trouver le M entouré d’un cercle et suivi d’un numéro, trouver la bonne voie pour m’engouffrer dans le métro.
Le cou en extension, je ne vois plus personne. Moi aussi désormais j’avance mécaniquement, guidé par les M successifs. Je suis excité à l’idée d’accéder à ces ramifications souterraines qui, pour un provincial, font partie du « Paris typique » au même titre que ses monuments historiques. On visite le métro comme on entre dans la tour Eiffel, les voies tortueuses plongées dans un creux obscur sont aussi longues et intrigantes que la hauteur et la majesté de la dame de fer. Finalement, je parviens à l’entrée avec plusieurs options qui s’offrent à moi pour autant de lignes différentes à choisir. J’en choisis une au hasard et m’enfonce pour la première fois dans les trous de la ville. En apnée, je fonds dans la foule qui s’agglutine dans le rétrécissement de l’espace. Un goulet d’étranglement puis les portiques d’entrée que certains sautent à pieds joints et je me retrouve sur un quai aux néons livides. Tout est allé très vite comme si j’avais un temps survolé le sol, porté par un appel d’air brutal. De part et d’autre, deux arches noires et un silence étrange monte de la voie. Sur le bord, les robots se sont arrêtés net et attendent la rame, le regard désert.
Un souffle arrive de la gauche, perce la voûte dans un coup de sirène bref et le métro apparaît, ouvre ses portes coulissantes et avale l’ensemble du quai. Je me retrouve comme les autres englouti dans son ventre, malaxé dans ses entrailles. Et la vitesse nous déplace comme une seule entité, convoi d’humanoïdes à éclater dans les quatre coins de la capitale. Dans les vitres, mon reflet, qui s’étale en transparence d’une station à l’autre, affiche une tête inadaptée aux vibrations, aux lumières blafardes, à l’heure de la cohue. Je reste debout ahuri comme transposé dans un autre univers, en décalage chronobiologique. Je ne serai jamais parisien.
Texte publié initialement sur le blog de Christophe Grossi dans le cadre des vases communicants du mois d’octobre.