Les silhouettes
7.4.11Photo : Louise imagine
Voilà des heures que je rôde dans cette gare. Perdu. Je crois que je suis perdu. Je croise des gens bien sûr, des silhouettes pour le moins, des paires d’yeux accrochés aux murs qui ne me voient pas. Enfin ils doivent me voir puisque je les voie mais ils ne me regardent pas. Je suis perdu et tout le monde s’en fout. Il faudrait que je leur parle, que je leur demande mon chemin, que de ces regards vides et perdus je tire quelque chose, un croisement qui dans un éclair dirait : oui, je suis perdu, aidez-moi, indiquez-moi la sortie, le quai, la porte que je cherche. Mais rien, je ne parviens pas à percer leur espace.
On dirait qu’ils glissent sur le sol, leurs corps se meuvent mais eux non. Vraiment, ils ont l’air ailleurs, les idées suspendues aux panneaux, la tête dans les flèches de direction arrimées aux poutrelles. Des silhouettes vides. Maintenant elles me font peur ces silhouettes décharnées et elles me perdent. Je suis perdu parce que ce sont elles, ectoplasmes animés, qui me désorientent. Aucune ne marche dans le même sens, elles grouillent, surgissent de plus en plus vite, quand une part, l’autre arrive ; lorsqu’une accélère et me double, une autre m’évite de justesse dans un frôlement d’épaules imperceptible. C’est un manège fou dans un ordre si abscons que, oui, c’est elles qui me perdent. Elles me compriment les sens. Je n’ai plus aucun repère. Je n’arrive pas à lire les panneaux, les indications sont écrites en arabesques molles. Et puis de toute façon, ce sont les silhouettes qui tournent devant moi que je voudrais lire, déchiffrer, et comprendre. Leur demander mon chemin, parler à quelqu’un de l’intérieur qui, dans des gestes précis et une voix serviable, me guiderait pour sortir de ce ballet aliénant. Mais rien, je n’y arrive pas.
Je finis par renoncer mais sortir de ce cirque d’ombres devient capital. Echapper à cette abstraction s’impose à moi. Je ne veux et ne peux pas être une silhouette de plus, présent mais invisible à l’autre. Je dois vérifier. Je dois trouver un endroit vide pour reprendre mes esprits, me retrouver là où personne ne pourra me toucher. Vérifier. Je prends la première allée et la suis, peu importe où elle me mènera. Je marche sans notion de temps, dans des pas de coton. J’ai envie d’accélérer mais je ne sais pas vraiment si je le fais. Vérifier. J’avance, je crois. Plus je marche moins il y a de silhouettes autour de moi. Dix, cinq, trois deux, une puis plus rien. Le vrai vide. L’impasse. Au fond un angle, vingt mètres carré isolés, une cabine photomaton. Vérifier. Je m’assois, tire le rideau, quelques pièces et je déclenche l’objectif. Dans l’œil de la caméra, du blanc, rien que du blanc et le flottement du rideau derrière moi. Je n’existe plus.
Ce texte est ma participation au jeu d'écriture n°6 du blog à mille mains. Le principe du jeu est simple : à partir de cette photo, chacun(e) écrit un texte et le publie sur son blog. La seule contrainte est de s'inspirer de cette photo. Les textes peuvent prendre la forme, le style, la longueur que vous souhaitez.