Le patron
8.6.11Derrière le comptoir, tout un manège de verres, de bouteilles en vitrine ringuette, le perco en chaleur et le parquet qui claque. Voilà le patron qui rapplique, gouaille en gerbe et gueule de maître du monde. Il va danser dans son réduit oblong toute la nuit, rétablir la vérité sur le monde des poivrots, faire valser les verres de Picon bière, échanger des rires en clapiers et taper du poing sur le zinc des indomptables. Seul à bord, il mène son troquet en capitaine, jauge les yeux brouillons, en écarte les jaunes vitreux qui dégueulent et bat les blancs pour la renverse. Le verbe haut en ragots du commerce, pas bégueule, il écrase sans vergogne les mégots et les logorrhées incontinentes.
Il est plus fort, plus grand que toi sur son estrade de bois, chef d’orchestre en verres maculés, la tatane en baguette, quelques centimètres qui l’élèvent pour te regarder filer droit dans ses yeux. Et si te vient l’idée saugrenue de monter sur ton haut tabouret, de railler la clientèle qui se répand en bibines ou d’ouvrir trop grande ta gueule de lait grenadine, il craque des cervicales, te toise rouge colère puis te prend par le colbac, et toi, les pompes en pointe sur le parquet, t’es plus qu’un minot.
Faut pas la lui jouer de travers au patron, il a l’œil sec et les idées qui dispersent, le premier qui moufte, il bouffe le trottoir, la bouche sans soif et le derche sur le carreau.