Quel pitre !
17.7.11Un pitre, c’était un pitre ce gars-là ! Personne ne pouvait l’arrêter, et quand on essayait, il fallait s’attaquer à sa tête de clown, à son regard en biais, tête baissée et pupilles relevées. Une tête de chien battu qu’il nous faisait alors et si on continuait à le réprimander, il était capable d’aller plus loin dans la blague, de s’ébrouer de tout son poil comme s’il était mouillé, de japper rauque comme un sale cabot qu’il était, voire même de se mettre à quatre pattes tout en vous rabrouant la jambe de son front jusqu’à son échine. Un sacré mariole ce gars-là ! Jamais à court d’idées pour amuser la galerie, les enfants en cortège l’aimaient, à le suivre n’importe où, dans d’impossibles aventures au dénouement grotesque. Des défilés dans la cour, en grande pompe, il singeait l’autorité, le général d’armée en personnage gauche à la voix haut perchée scandant des uns et des deux à la reprise rieuse des enfants. Un grand dadais à la marche ridicule, tête en l’air et bicorne tordu, qui ravissait autant les gamins qu’il agaçait les oligarques de l’école.
Oui, quel zouave, celui-là ! Souvent, on avait voulu le virer, se débarrasser de ce bouffon qui mettait à mal le règlement intérieur, tournait toute autorité en dérision. Mais en vain, au même titre que les murs, la cambuse ou le préau, il faisait partie du décor. Personne ne le disait mais il était le contrepoids au fardeau de l’institution, à la pesanteur du directeur, à la rigidité des surveillants : une envolée dans un monde de paralysés.