On joue !
22.8.11Pour jouer, il fallait aller jusqu’au bout du quai dans nos tenues de tous les jours, les panoplies bien rangées dans des sacs de supermarchés : un gilet, une ceinture, un foulard, un chapeau, un badge étoile, des menottes, des éperons, une gourde, une carte. Manquait que les revolvers à pétards que Max apportait dans une valise en plastique argenté, réplique de la vraie mallette de tueur, avec un emplacement pour chaque arme taillé dans de la feutrine calée à l’intérieur. Plus nous avancions vers le terrain de jeu, vers le Far West, plus nos bras s’écartaient de nos corps en formant des arcs de cercle, plus nos torses se bombaient et nos démarches s’emboîtaient dans un balancement viril. Nous étions Nick, Max et Travis, une jeune squaw nous suivait de son plein gré, la plume dans les cheveux et le cœur vaillant à scalper du cow-boy. Pauvre ingénue !
Arrivés aux portes du saloon, véritable cabane abandonnée, Nick tapait du pied dans la porte, entrait avec grand fracas et commandait un whisky en frappant du poing sur le bar, authentique vieux confiturier vermoulu couvert de toiles d’araignée. Travis sautait alors le meuble et imitait le barman en faisant voltiger bouteilles et verres, façon Tom Cruise. (Nous n’étions pas à un anachronisme près) Max ne bronchait pas d’un sourcil, c’était le boss et il ne s’abaissait pas à participer à ces parodies stupides. Lui, c’étaient les armes qu’ils transportait, grande responsabilité qui lui incombait. Alors pour donner du poids à son rôle, il allongeait les traits de son visage en tordant sa bouche sur la droite et balançait sa tête de haut en bas avec un air empreint des plus grandes brutes de l’Arizona. Puis lentement il déverrouillait la valise. Il créait la tension et plaquait sur nos panoplies la dramaturgie nécessaire. Dans le saloon, nous l’observions avec respect les mains dans le dos, paumes collées sur le confiturier, personne ne mouftait. C’était du sérieux, c’était du lourd. Une fois que chacun avait revêtu son habit de cow-boy, il reprenait un instant sourire et voix d’enfant pour crier « Allez, on joue ! » puis nous distribuait les flingues, du plus petit au plus gros, suivant l’ordre croissant de nos âges.