Que n’ai-je vu ?
30.8.11Que n’ai-je vu ? Ces après-midi-là, dans ma poussette canne, lorsqu’elle me sortait, pour prendre l’air. Il faut qu’il sorte quand même ce petit, disait-elle à maman. Je serai rentrée pour le souper, ne t’inquiète pas… Elle prenait de l’aplomb, rassurait et se ménageait ainsi une longue plage horaire pour s’extirper du joug familial. Dans ces années-là, lorsqu’on était jeune fille, pas facile de sortir de la maison avant sa majorité sans montrer patte blanche. Les escapades étaient comptées et il n’était pas de bon ton de rôder dans les rues à des heures indues, jusque bien après le coucher de soleil. Alors restaient les après-midi pour goûter un peu de la liberté du dehors, pour s’affranchir, toucher et dépasser son adolescence.
Moi je n’en ai aucun souvenir, bien entendu. Bambin, areuh-areuh, je glissais encore une tétine entre mes dents saillantes. Ce n’est qu’une histoire de souvenir, racontée et extirpée de la mémoire de ma sœur, de ses remembrances que l’on avoue bien plus tard lorsqu’elles font sourire toute la famille. Tu étais un alibi, me dit-elle, une diversion pour que je puisse passer le double-mur : d’abord, celui de papa, facile à franchir tant son regard attendri n’hésitait pas longtemps pour lâcher son approbation, puis celui de maman, ensuite, plus revêche, droite dans ses bottes et ses principes, il était plus difficile de la convaincre que la promenade du petit dans le parc voisin allait durer près de quatre heures. Elle ne me croyait pas, je pense mais me laissait tout de même filer. Pourtant, c’était vrai, j’allais bien au jardin municipal, je te laissais proche de mon regard dans le bac à sable et sur ce banc, tu vois celui-là même où on est assis, j’embrassais fougueusement mon fiancé, celui qui aujourd’hui est devenu ton beau-frère.