Sur un air de Chet Baker
23.9.11
Il rit fort, si fort qu’il s’étonne lui-même d’un tel éclat. La main devant la bouche, il souffle son haleine qui forme un petit nuage augmenté de whisky rance et de tabac tiède. Il en tient une bonne, une sévère qu’il n’a pas vu venir. Il se renfrogne, cherche dans ses chausses un restant de monnaie et avise le taxi d’un bras lourd. La voiture démarre et s’arrête à ses pieds. Par la fenêtre, Chet Baker lui vocalise à la tronche, il titube un instant en singeant un tour de claquettes puis trébuche sur le bord du trottoir et s’étale copieux sur le capot. Pendant quelques secondes il est bien là, dans le tiède de la tôle, la gueule à cinq centimètres du radiateur. Le chauffeur, le genre patibulaire (mais presque), descend, le décolle rapide par les épaules et le repose sec sur le trottoir. Couché dans le caniveau, il sent le vent redoubler ses percées glaciales et les yeux sur le bout de ses pompes mouillées de pisse, il entend le refrain de « The More I See You » se tailler dans la brume. Au loin, un chien hurle à la mort.
illustration : Francis Keller