Arum
28.5.12
C’est un fil de vie, toi, moi, jamais ne s'arrête la tension du manque et même si je prends le temps en maîtrise pour poursuivre, il demeure que des flashs persistants reviennent comme des arrêts informels. Sans prévenir, une évocation et me voilà tout prés de te voir apparaître, douce hantise. Hier, ton visage, avant-hier une ombre, des mois en arrière, ton terreau, ta gouaille de père et aujourd’hui, aux contours imperceptibles de la mémoire, une incidente pensée longtemps enfouie.
Arum, arômes d'un retour, quelle désuète et formatée remembrance que de se souvenir d'une fleur pour un défunt ! Un bouquet que j'aurais dû déposer sur ta tombe, une offrande à tes coups de pioche, à l'irrigation de tes semences, à la générosité que tu mettais à offrir aux passants le fruit de ton travail. Fleur de rien, vivace et pullulante, pourtant dans le geste tu magnifiais sa haute tige verte rehaussée d'un cornet blanc nacré. Quand la belle saison sonnait, ton attention était toute à lui, l'arum fleur au genre masculin qui t’allait si bien : l’arroser, le gorger d'eau pour obtenir la dernière pousse, le vert plus clair dressé au bout de ces feuilles comme la reconnaissance qui tu attendais en retour de don, en récompense de l'abnégation que tu mettais à le choyer.
Arums tout justes cueillis du jardin, ils étaient frais, tes arums, enveloppés soigneusement dans de vieux chiffons mouillés. Sur le trottoir près du troquet, tu les tendais à la rue, le cœur en fanfare et le regard lumineux. Aux passants interloqués, tu répondais « c’est de mon jardin » en appuyant sur l’article possessif comme pour donner ton ego en partage. Tu distribuais deux ou trois gros bouquets en un quart d’heure et faisais le plein de regard attendris et de mercis en attache puis tu passais chemin vers ta pitance le visage buriné de gratitude et craquelé de sourires en cornets.