Monozygotes comme jamais
26.7.12
Filer, c’était la seule solution, filer droit. La grande et lourde porte cochère que nous avions tant de peine à pousser, entrouverte on l’a trouvée. Alors, pas une hésitation, filer vite, on a filé comme des gamines. Sans chercher derrière si une nouvelle fois, on allait se faire gauler. Des années qu’on guettait l'embrasure, le filet de lumière qui allait nous délivrer. Nombres de jours passés là à rosser le monde dans ce grand couloir froid où pendaient des effigies de mortes sépias et poussiéreuses.
Tapies dans le creux des ombres, nos regards siamois lorgnaient le dehors. C’est de là, toujours apprêtées pour un lendemain libre qu’on gambergeait la fugue, les yeux écarquillés sur les recoins de la mémoire en serrant nos mains biffées par le labyrinthe du temps - monozygotes comme jamais. C’est de cette sinistre maison pour individus en fin de vie – longtemps que la vie avait pris fin entre ces murs - qu’on voulait partir, fuir la mort qui voulait nous faire la dernière mise en pli, fuir la peur qui geignait à nos lèvres de devenir les prochaines pendues, encadrées sur le mur gris du grand couloir et regrettées par des regards austères et faussement embués.
Filer, c’était la seule solution, filer droit. On a filé cramer notre fin de vie toutes deux, toutes unes, encanaillées d’une liberté volée.
illustration : Mary Ellen Mark