Tube
22.9.12
Lui dedans, toujours, lui et l’auto, dedans.
Ici, là, pas un coup d’œil dans le rétro sans l’apercevoir aux commandes : dans sa 404 benne, dans sa R16 berline bleue aux ailes en saillies, au volant de son imposant bahut en chauffeur de bus ou encore, plus roots, sur les chemins escarpés des terres de mon enfance à bord de son Citroën tube orange.
Le tube du temps fait son effet. Le revoir dans le reflet avec ses cheveux noirs clairsemés, le vent lui soulevant quelques mèches par la vitre ouverte. Par le tube. Le mégot goldo aux lèvres, relever le carreau, divisé en deux dans sa largeur, dans un geste si vif, si mâle… Le clap de la ventouse soudait les deux moitiés de plexi cheap et sonnait le départ, le bras gauche ballant sur la tôle ondulée de la portière et le sourire flanqué d’éclats nicotine.
Gaillard trapu, maître de son monde, le grand volant en bakélite glissait dans ses mains rugueuses et lui faisait dessiner de larges mouvements d’épaules. Balancement, frottement des inverses, le lisse, le rude, une conduite d’homme aux bras bandés de muscles pour mener la bête pataude à travers rues étroites et chemins de vignes cintrés. L’œil vissé sur la route, le compas précis sur les arêtes saillantes de l’engin, les manœuvres étaient franches et assurées, comme lui.
Lui dedans, toujours, lui, et le tube, dedans.
C’était son tube, c’était mon père, son identité shootée au véhicule. Lui ne l’appelait pas le tube mais le « Type H ». « Type », ça sonnait plus mec, claquait plus type, balançait plus couillu tandis que le H fumait dans sa bouche et venait moucher ses yeux de fierté. Le tube lui collait à la peau. Le corps absorbé par le fauteuil en skaï, son camion aux ronflements d’une mécanique dégingandée battait le plein dans son ventre et réglait chacun de ses gestes au point qu’il était difficile de dissocier l’un de l’autre, la machine de l’homme, l’homme de la machine. L’osmose. Le tube c’était mon père.
C’était mon tube de père.
illustration : Citroën Tube abandonné dans la carrière de la patate
Texte initialement publié sur le blog le démotoir pour les vases communicants d'août 2012.