La bataille

13.10.13

Quand vient le temps de soigner la vigne, lorsque les nuisibles la menacent et que, sournois, ils se collent déjà à ses feuilles prêts à grignoter la sève à peine montée, lorsqu’ils s’immiscent dans son ceps, taraudent son écorce, circulent dans les allées en colonisateurs belliqueux, il faut agir, bâtir des plans d’attaque, ne rien laisser au hasard et affuter sa manœuvre.

C’est ce qui se trame dans sa tête toute la nuit, ce dont il rêve à ne pas en douter. D’attaques violentes, de volées d’araignées rouges massacrant ses terres sous un feu fourni d’aiguillons fielleux et de langues dévorantes.

Alors il se lève tôt, très tôt, harassé par la nuit des envahisseurs. Et, en valeureux guerrier, s’habille rapidement - bleu de travail, chaussure de sécurité - et descend dans la rue encore grise. Un instant aux aguets, il hume l’air du jour, mate le ciel sous toutes ses coutures, inspecte chaque nuage comme s’il était l’allié de ces saletés de doryphores et autres scarabées rongeurs camouflés dans les hauts coteaux. S’il fait trop de vent, ce sera foutu pour aujourd’hui. Il sera impossible de les atomiser de pesticides. Ils gagneront un jour et vingt-quatre heures dans une guerre, ça peut tout foutre en l’air.

C’est ce qui se voit dans son regard. Une intense anxiété sur le temps, celui qui passe, celui qui fait. Des cumulonimbus gonflent dans sa tête, des typhons s’abattent sous ses yeux. La peur le tenaille. Il est courageux mais ne peut rien contre les éléments.

Il mouille son index tout en réfléchissant sous ses paupières molles. Un instant saisi par le piqué du matin, il reste figé au milieu du vide et du silence le doigt dans la bouche comme un enfant hébété. Et dès la bascule, une brise fugace qui passe entre les murs, il tend conquérant son doigt mouillé au vent à la recherche de la sensation. Marin, grec, nord, mistral. Les nuages vont s’enfuir ou simplement éclater sous la pression du bleu du ciel ? Il cogite, se concentre sur la fraîcheur ressentie au bout de son doigt pointé au ciel comme un appel à la clémence des astres.

Une bourrasque se lève brusquement, tourbillonne entre les rues, s’abat sur lui en soulevant un nid de poussière dans ses yeux. Le verdict est sans appel. Trop de vent pour aller défier les envahisseurs. La bataille du jour est annulée, la mort dans l’âme.

C’est ce qui se glisse dans sa démarche pour rejoindre la maison. Tête baissée et yeux irrités, il fait le deuil du jour et joue stratège sur des lendemains plus cléments.


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