Jour 3-4 – Mézin, Bordeaux, Bruges, Lacanau #roadtrip #TFV #LesVisages
29.7.15
Dimanche
26/7 en fin de journée, j’entre dans Mézin, petit village où seules les
voitures stationnées dans les rues étroites attestent de la présence de vies
planquées derrière les rideaux. Je toque au 19 sur une petite porte en bois. Un
grand et longiligne garçon, cheveu brun et petite barbiche, me décoche un grand
sourire. William Mathieu m’accueille dans son atelier de peintre. Odeur de
gouache dans le foutraque de ses peintures, des tableaux partout sur des
étagères et sur les murs des mots en liste qui prouvent qu’à l’étage se trouve
une écrivaine. Marianne dévale les escaliers et l’ouverture entre nous trois s’opèrent
naturellement. Une soirée de discussions, de sourires et de plaisir végétarien
(j’ai cherché la barbaque pour mordre mon plaisir d’être ici mais en vain), une
visite nocturne pour voir l’installation de William dans une église désacralisée
– un choc artistique entre l’architecture du XIIe ou XIIIe siècle et l’art contemporain
dispensé par William, un art en mouvance empli de questionnement et de rêveries
- puis une nuit dans l’atelier à capturer dans ma boîte à mémoire les portraits
peints par William, des auteurs invités au dernier festival organisé par
Marianne : Muriéle, Jean-Jacques, Marlène et les autres, des visages
connus ou à connaître. A côte de moi comme un gardien du temple, gribouille le
chat prend possession de mon sac de voyage et s’endort avec moi. Le lendemain
matin tôt, je sors seul et j’arpente Mézin et ses tocsins matinaux. Le village
désert est apaisant, propice au vagabondage, je me perds dans les ruelles entre
la place de l’hôtel de ville, une bibliothèque aux allures de supérette et un
café concert aux portes barricadées comme si ce lieu à tapages n’avait pas
résisté à la quiétude du lieu.
Merci Marianne http://mariannedesroziers.blogspot.fr/
Merci William http://www.williammathieu.eu
pour votre accueil chaleureux.
Lundi
27/7 et la route qui défile dans le Lot-et-Garonne pour se payer l’aquitaine
après une poignée de kilomètres. L’autoroute bruyante me crée un chaud-froid,
contraste avec les ruelles posées de Mézin. Je suis alangui dans la voiture et glisse
tranquillement, fenêtres fermées, Clementine dans les oreilles me rassure
tandis que Chet baker lui fait écho par intermittence comme pour lui dire et -
je souris – peut-être me dire à moi aussi : vas-y mon gars,
continue ! Sur la première aire d’autoroute, je m’arrête pour déjeuner et
incroyable hasard ou est-ce un autre un autre coup du destin, je croise une
ancienne collègue de travail, chère à mon cœur. Dix ans de vie à se raconter ne
tiennent pas sur une aire d’autoroute et malgré la discussion convenue, nous
échangeons nos nouveaux numéros avant une accolade affable et trois bises
appuyées.
Bordeaux
pointe ses panneaux routiers bleu et blanc sur le bord de la route et bientôt
les signalisations deviennent marrons encadrés de blanc et se parent de
bouteilles de vins rouges stylisées. Le pays rêvé de Bacchus m’accueille en
grande pompe, ville chauffée au rouge et architecture tape à l’oeil. Le GPS lui
aussi surchauffe et la voix féminine qui m’accompagne depuis le début du
périple bégaye, se marche sur les phonèmes, balbutie des noms de rues
incompréhensibles mais tant bien que mal j’arrive chez Edith. Un petit couloir
m’amène dans son refuge et à nouveau les sourires inondent les visages et
délient les langues. Sur sa terrasse, ça cause littérature, cinéma. Ça suinte
de nos vies entremêlées, de nos failles et de nos escarmouches, et tout ce
qu’on ne dit pas transpire de deux chopes de bières. On est bien, on s’intensifie
sous un léger soleil alors qu’un papillon aux ailes malades vient me percuter le
visage. Comme apprivoisé il s’invite à notre table, donne une poésie
particulière à cette rencontre. Une heure trop courte nous dépasse et je laisse
Edith à ses obligations en promettant que la prochaine fois on ne laisserait
pas notre discussion se faire couper les ailes par le temps.
Merci Edith https://edithmasson.wordpress.com/
Je
m’arrête boire un Perrier citron au Napoléon III près de l’hôtel de 4 sœurs où
l’hiver fut romantique. J’écrase le souvenir dans un cendrier et tape un rapide
SMS pour prévenir Christine de mon arrivée.
Bruges
en fin d’après-midi, une belle femme longiligne, cheveux poivre et sel bouffants,
me raccorde au sourire permanent qui longe le parcours depuis le début. Dans sa
maison aux souvenirs, Christine me loge comme un invité de prestige. Tout un
appartement au rez-de-chaussée rien que pour moi. Chaque pièce emporte ma tête
dans un autre temps, son temps à elle et les réminiscences miennes. D’emblée la
discussion est large, les centres d’intérêts littéraires mais aussi autres
s’impriment sur nos visages, des palimpsestes modernes où les émotions
n’enfilent pas des perles mais les manipulent en experts humbles de la matière
qui nous déborde. Autour d’un rafraîchissement, nous évoquons les âmes chères
qui plus tard nous rejoindront. La première que nous allons cueillir dans son
refuge et fidèle au visage qui occupait mon esprit durant toutes ces années
cybernétiques. Son écriture en filigrane planquée sous ses cheveux en bataille
me fait battre le corps. Je ne montre pas mon admiration, elle serait convenue
et midinette mais mon cœur et ma tête tombent dans un univers surréaliste.
Dominique dodeline avec une humilité qui me tirerait des larmes si
j’abandonnais mon corps aux sentiments qui m’assaillent. Je coupe ici le flux
des mots, me laisse porter par Christine en chef d’orchestre. J’écoute,
j’observe, me remplis de cet instant tous les trois réunis dans sa petite
voiture où la découverte de nos visages fait le plein de nos inconnus comme de
nos disparus. La soirée s’installe, le haut-médoc se hume, le whisky sorti de
la mémoire fraiche se déguste. La discussion à la fois légère et profonde,
l’écoute bienveillante et les paroles douces, les stries du temps sur les visages,
la culture simple et accessible, l’alacrité déliée, tout cela me ravit et
renvoie dans les cordes tout ce que j’avais mis d’incongru, de folie,
d’impossible dans ce voyage. Nous sommes rejoints par Brigitte, qui trouve sur
nos visages l’apaisement nécessaire à la fin de sa journée mouvementée. Elle
s’intègre à notre groupe comme si elle avait été avec nous depuis le début. Une
évidence de plus quand je m’attarde sur les corps de Dominique et Brigitte
assis côte à côte. Une évidence du lien, solide et jonché de péripéties qui
fusionnent. Malgré leur différence d’apparence, ils sont là devant moi à
deviser, en écoute, en accueil. Nous passons à table. Dans la salle à manger chargée
de mémoire, nous savons qu’un convive de plus s’est assis à notre table. Nous
n’en parlerons pas, ce sont des choses qui se passent de mots. Le repas et les
échanges sont divins et élégants. Je suis sur un nuage sans savoir si c’est
vraiment moi assis à cette table ou un ersatz de moi, un double sorti de mon
corps. Un coup de téléphone de mes
enfants surexcités en milieu de soirée me rassurera sur la réalité qui se
déroule sous mes yeux. Ils me questionneront sur ce qui se passe, sur ce que je
fais et je serai incapable de leur dire tant les mots articulés sont pauvres
pour exprimer ce que je vis. L’heure
tardive et les bâillements de Dominique apporteront la nuit à mes yeux. Un
dernier verre de whisky madérisé et hors d’âge avec Christine alanguis sur son
canapé et c’est un plein d’émotions exacerbé par l’alcool qui me traverse mais
la fatigue l’emporte loin de toute évocation intellectuelle. Je regagne mon
appartement d’invité, touche à chaque pas la mémoire en stèle. Je suis
extrêmement touché et je prends quelques photos pour ne jamais oublier. Je m’endors dans des draps souples, sur un lit
tout aussi hors d’âge que le breuvage bu quelques minutes plus tôt. Je suis
dans le présent comme dans le souvenir, un entre-deux, un passage en paix.
7h30
le lendemain, 28/07, la matinée est tout aussi dense que la veille, le
tête-à-tête avec Christine est d’une richesse extraordinaire et nous amène à
tomber quelques masques, le voile est levé, l’amitié posée sur la table, nous
tournons autour heureux de nous. Avec la collation pour midi faite des restes de
la veille, c’est comme si Brigitte et Dominique nous rejoignaient. Une nouvelle
fois, perdus dans nos paroles, le temps nous rattrape. Déjà 13h30, l’heure de
rejoindre Vincent en ville.
Merci
Christine https://plus.google.com/+ChristineSGkouky
Merci
Dominique http://dominique-boudou.blogspot.fr/
Merci
Brigitte http://paradisbancale.over-blog.com/
Retour
au Napoléon III, l’attente est agréable, je feuillette Cortazar puis Anna de
Sandre m’emporte en poésie avec le vent qui sèche mon émotion. Puis Vincent
apparaît, gaillard solide, tête ronde et fatiguée. Je le regarde comme si je le
connaissais depuis toujours. Je m’émerveille de cette proximité soudaine alors
que, comme pour tous les autres, ce visage il y a quelques minutes m’était
totalement inconnu. Les titres de recueil, les auteurs, les évocations, les
vers libres et décousus que nous échangeons s’échappent et montent au ciel
comme des signaux de fumées. Ça se tend dans les dendrites, ça secoue les corps
dans l’immobilité apparente de nos membres, ça mixe des mots dans ma bouche
pour atteindre à nouveau le trop plein à dire. Je sens en Vincent la même
adrénaline l’assaillir et l’envie de bouger cette incandescence nous pousse à
marcher dans la ville, à aller cueillir ce que nous fait lien. La librairie
olympique sera le lieu de l’apaisement. Nous tairons tout ce qui nous bouscule
dans le rayon poésie. Chaque livre fait sens, chaque couverture est une
ouverture. Chaque titre, chaque écrivain nous rassemblent, créent la passerelle
entre nous et le garde-fou pour nous préserver ensemble encore un peu plus.
Encore prolonger ce moment semble être cause commune. Après la culture en
bouillon et au delà de toute littérature, les ombres de nos disparus feront à
nouveau sens. Le travail de la mémoire, l’exigence du souvenir installe dans
nos corps une omniprésence sans lourdeur ni pathos et forment dans nos ventres un
ciment d’amitié à prise rapide.
Je
quitte Vincent avec l’envie de l’embrasser quand il me dit qu’il ne veut pas me
laisser partir. L’abandon était à nos bouches.
Merci
Vincent :
29/07
11h15, je me suis réfugié dans un hôtel à Lacanau océan pour digérer ces
intenses quatre premiers jours et embrasser les embruns. Je suis rincé par une
pluie fine et une émotion intense affleure à mes yeux. Je suis sorti de mon
corps, cette prison qui s’entrouvre.
(prochaines
étapes : Saintes avec Rose et Nantes avec Jany)