Saveurs à venir
7.7.15
Il passe par des chemins cabossés, par d’étroits sentiers qui ceignent la montagne en colimaçon. C’est l’automne qui monte en feuilles mortes et jonche son parcours d’un tapis moelleux. La bute haute sent le cuivre et il s’enfonce en elle comme du vert de gris. En marche pataude, il gravit péniblement la pente. Ses godillots de sel lui arrachent quelques plaintes rentrées dans la mâchoire. Ses pieds cagneux lui font mal. Il lutte et traine sa carcasse usée jusqu’à fureter dans les coins sombres et humides. Un reste de fraîcheur du matin lui caresse l’échine lorsqu’il se baisse pour la première fois au pied d’un chêne noué jusqu’à la gorge. Il sort son vieil opinel gravé des initiales de son père qu’il planque dans la poche arrière de son bleu de travail. Il se met à gratter la terre comme un épagneul cherchant son os et soulève sous les fougères des odeurs de pain d’épices à l’orange. Ça lui caresse les naseaux et lui donne un sourire de vainqueur.
Fléchi au ras de la tourbe, il déterre de mauvais tubercules aux formes tarabiscotées par le temps et les rhizomes de l’arbre centenaire. Il cogne la lame sur des cailloux grèges, certains ronds et polis comme des œufs à coudre. Il en gardera quelques-uns qu’il posera sur la poutre de la cheminée entre un bibelot en étain et le portrait sépia de son père. Quelques suées viennent le surprendre et lui donnent un frisson dans le dos. La forêt silencieuse l’abandonne à sa recherche ; ce chêne-là ne sera pas le bon.
Plus loin, à la cagne d’un soleil de septembre qui pointe aux frondaisons, un genévrier lui parle au nez. Planté sur un petit plateau calcaire, la touffe verte luisante attire l’œil du vieux cueilleur. Le buisson dense tombe sa plèbe jusqu’au sol gardant dans son creux et à son pied l’humide nécessaire à la gratte de l’opinel. Il grimpe encore jusqu’à l’atteindre, tombe à genoux comme le chien à l’arrêt devant son gibier. Le couteau taille les branches basses pour découvrir un foyer de terre meuble. Une à deux saignées suffisent pour découvrir le graal : deux belles et grosses truffes greffées de terre ocre, deux beaux champignons du Caroux siamois de tous leurs corps.
Le vieil homme se relève en portant droit au ciel sa victoire en trophée. Le vent d’autan se lève et soulève une poignée de feuilles mortes qui viennent se coller à ses jambes. L’air se fait tournoyant comme si la fête était partagée par la nature. Au mitan de la journée, il redescend au village revigoré par son trésor, dans un sourire figé pleines lèvres d’où goutte l’eau qui emplit sa bouche des saveurs à venir.