S02 #BioDuJour – Agnès, Vincent, Banard, François de Sales, Manuel, Paule et Angèle

27.1.16

Semaine 02 #BioDuJour : Biographie rapide et fantasque du personnage qui se cache derrière le prénom fêté du jour. Les courts textes de six lignes postés quotidiennement sur les réseaux sociaux sont repris ici le mercredi et accompagnés d'une historiette rassemblant tous les personnages de la semaine.


21/01 – On fête les Agnès #BioDuJour

Agnès attend ses soixante-deux ans bouche bée
A la vie à la scène, elle gobe des louches

Agnès dirige sa vie seule et ça lui plait
D’hommes en couche, elle en garde plumes et jette

Agnès tremble quand la nuit tombe
Elle cueille une étoile et la trempe dans un pur malt

22/01 – On fête les Vincent #BioDuJour

Vincent a cinquante ans et un pèse-personne
Il a l’âge et le ventre de François, Paul et les autres

Vincent a des problèmes de cœur au sens propre
Comme au sens sexué alors il fume pour bouturer

Vincent dort mal car sa femme l’a quitté
Depuis Il prend des cachets et des filles faciles

23/01 – On fête les Banard #BioDuJour

Banard n’a pas d’âge mais le cafard
d’être habillé d’un prénom aussi bâtard

Banard n’est pas Bernard ni Barnard ni Gérard
Il corrige et s’excuse de n’être que Banard

Banard pense que la blague une nuit cessera
Qu’il se réveillera avec un prénom à vivre

24/01 – On fête les François de Sales #BioDuJour

François de Sales a trente ans et une grosse barbe
Il joue au hipster sur les boulevards et mange bio

François de Sales aime les pantalons à jambes courtes
Il porte le jean relevé aux chevilles et sans chaussettes

François de Sales met un gilet surpiqué de ses initiales
FdS au bas du dos, il espère une nuit être sanctifié

25/01 – On fête les Manuel #BioDuJour

Manuel a soixante-huit ans et des rouflaquettes
Il a été rocker mais il ne reste que les frisettes

Manuel a sous sa mansarde un poster d’Halliday
Sa femme en a marre de coucher avec un yéyé

Manuel chante Oh Gaby comme un mantra
Au décès de l’idole, il se rasera ou mourra

26/01 – On fête les Paule #BioDuJour

Paule a la parole sourde et cent-un ans
Elle se moque du siècle sans vergogne

Paule a vu la guerre et le loup des soldats
Elle étend encore en rêve quelques lascars

Paule a la mort au bec et le sourire en coin
Elle ironise sur la vive disparue qu’elle sera

27/01 – On fête les Angèle #BioDuJour

Angèle a quatre ans et une tête légère
Ses bras battent la mesure quand papa frappe

Angèle se bouche les oreilles avec les doigts
Lorsque la chambre est plongée dans le noir

Angèle sait déjà que la vie est un cauchemar
Quand elle est seule à compter les beurres noirs



Manuel pose le saphir sur la piste deux et dans l’appartement voisin, Vincent lève les yeux au ciel. Encore du Johnny à fond à sept heures du matin, un dimanche. Le disque est rayé comme l’est Manuel, en boucle depuis quarante ans sur les vieux titres de l’idole. Agnès, l’épouse de Manuel, n’arrive pas à lui faire entendre raison. « Arrête avec ton putain de Johnny ! » Elle dit ça tous les jours dès le réveil. Au début, elle hurlait. Désormais, lasse et pétrie d’amertume, elle ne marmonne plus que pour elle, entre ses dents serrées.

Au rez-de-chaussée, Angèle, quatre ans, suce son pouce.

Vincent vit seul et parfois se dit qu’il pourrait, lui aussi, mettre la musique à fond. Ça lui ferait du bien et comme il vit seul, personne ne pourrait l’en empêcher, à Vincent, de mettre ses disques préférés à plein volume, ça l’aiderait à ne plus penser, à ne plus se tourmenter ; parce qu’il est seul, Vincent, vraiment seul. Mais là, la musique de l’autre fou de Jojo, ça l’agace. Alors, il ferme la fenêtre qui donne sur le balcon pour atténuer la nuisance. Mais, comme s’il voulait absolument que Vincent et tout l’immeuble entendent, Manuel augmente le volume ; alors Vincent tape trois coups avec un balai sur la cloison qui sépare les deux appartements. Manuel marmonne une saloperie en raclant sa gorge puis répond par trois tapes appuyées de la main sur le mur, signifiant ainsi à Vincent qu’il n’est pas disposé à baisser le son. Vincent redonne trois coups de balais et Manuel répond. Ça durera ainsi jusqu’à midi.

Angèle tourne et vire dans son lit quand la voix de Johnny monte trop haut. Elle a des sursauts et le hoquet, quelque vilaine peur qui dérange les rêves.

Au second étage, Banard a le cafard du dimanche comme tous les dimanche et comme tous les jours. Johnny, il ne connaissait pas avant d’emménager ici. Banard ne connaît pas grand-chose à la variété française. La musique et la voix gutturale du chanteur passe dans ses oreilles comme tout le reste, sans y rester. Banard se demande ce qu’il fait dans cet immeuble ou plutôt qu’est ce que fait cet immeuble autour de lui, et par la même, qu’est ce que fout cette musique à ainsi traverser sa tête.
Angèle a réussi à se rendormir, le poing serré sur un vieux mouchoir en tissu qui lui sert de doudou.

« Que je t’aime, que je t’aime, que je t’aaaaaaimmmme ! ». C’est lorsque retentit ce refrain hurlant que François de Sales, un hispter qui habite au quatrième, se réveille. Il est onze heures et la nuit fut trop courte. Il s’étire, gratte sa barbe, en retire quelques miettes du repas de la veille et file dans sa douche. Les murs de la salle de bains tremblent sous les basses et dans la tête de FdS, quelques mouches volent en mouvements synchronisés.

Madame Paule, doyenne de l’immeuble, habite au rez-de-chaussée. Elle est réveillée depuis six heures. Johnny lui rappelle des souvenirs, un amant à moto, un blouson noir, disait-on à l’époque. La vieille dame connaît le répertoire de Johnny  par cœur : elle a vu sa fille puis sa petite-fille chanter et se déhancher sur les tubes du rocker. Elle se baisse sur le petit lit de son arrière-petite-fille. Angèle dort et ne semble pas avoir été dérangée. Elle rabat sur elle une couverture en mohair, la remonte jusqu’au cou puis la rentre dans le col de son pyjama pour ne pas qu’elle s’étouffe avec. Madame Paule se dit qu’elle est mieux ici, avec elle, qu’avec son père qui a perdu la tête.

Il est midi trente. Agnès a fait un rôti de bœuf pour déjeuner avec quelques pommes sautées. Manuel lève le bras de la platine et dans l’immeuble, un étrange silence s’installe. Vincent donne encore deux coups de balais dans le mur sans s’apercevoir que la musique vient de s’arrêter, puis rouvre la fenêtre qui donne sur le balcon ; il lui faut de l’air à Vincent.  Au second, Banard fume cigarette sur cigarette et jette les mégots dans le jardin de Madame Paule. François de Sales est encore dans la salle de bains à tailler sa barbe. Avec un rasoir coupe-choux, il se rase délicatement autour du cou et songe qu’il pourrait un dimanche dévaler les étages et égorger Manuel.

Angèle se réveille mollement et glisse un sourire béat au jour. Johnny ne frappe pas aussi fort dans les oreilles que son père sur ses cuisses. C’est ce que se dit Madame Paule quand la petite fille, les jambes nues et tuméfiées, vient en sautillant la rejoindre dans le jardin.


Vincent 22/01


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