La valise à roulettes

6.3.16

Je voyage coté fenêtre, collé à la vitre. Le train file le paysage et mes pensées entre mailles. Des valises m’entourent : grosses, larges, maigres, rigides, souples, bleues, rouges, noires ou grandes, petites, fleuries, sans goût, roses à sticker vert, à lanières, sans lanières, avec fermeture éclair, velcro, ou lacets, sans et avec roulettes amovibles ou pas. Une moyenne beige roule seule dans le couloir. A chaque ballant de la voiture, elle tape les sièges, soulève les yeux et les sourcils et rehausse les visages d’interrogation. Personne pourtant ne se lève pour la mettre sur la tranche, roulette en l’air ou de côté de sorte qu’elle ne se ballade plus. Cette valise semble n’appartenir à personne. Elle roule autonome dans le train à contre-sens en changeant de voiture, faisant sa vie de voyageur comme un clandestin qui n’aurait pas pris son billet et qui, de wagon en wagon, tenterait l’entreprise hasardeuse d’échapper au contrôleur. Ou alors, plus simplement (si j’ose dire) elle cherche son propriétaire. Une valise beige moyenne à roulettes attend son papa à l’accueil de ce train. L’annonce est claire : la valise s’est perdue dans les couloirs attirée par quelque gros sac bodybuildé et séduisant. Elle roule vers lui oubliant un instant sa condition d’objet ; volant, roulant, dynamitant chaque parcelle de réalité qui lui intime de rester sagement dans son porte-bagages entre filets et mailles – pareilles mailles dans ma pensée qui déraille et tombe dans le grand fossé de l’absurde. Une valise amoureuse en somme. Une valise prête à tout pour filer le grand amour avec son sac de sport. Un coup de foudre ferroviaire entre un sac de voyage et une belle valise beige, voilà une belle histoire pour un dimanche soir. Ça me va. Je détricote, une maille à l’endroit, une maille à l’envers et la valise file un rêve.



Dans le même tiroir