S10 #BioDuJour – Patrice, Cyrille, Joseph, Herbert, Clémence, Léa et Victorien
23.3.16Semaine 10 et dernière semaine - #BioDuJour : Biographie rapide et fantasque du personnage qui se cache derrière le prénom fêté du jour. Les courts textes de six lignes postés quotidiennement sur les réseaux sociaux sont repris ici le mercredi et accompagnés d'une historiette rassemblant tous les personnages de la semaine.
1. 17/03
– On fête les Patrice #BioDuJour
Patrice a la
tête qui enfle depuis
Qu’un éditeur a publié sa poésie
Patrice est un poète qui libère les vers
Chèche autour du cou été comme hiver
Patrice vit des Agessa et du RSA
Mais de ça, il ne se vante pas
Qu’un éditeur a publié sa poésie
Patrice est un poète qui libère les vers
Chèche autour du cou été comme hiver
Patrice vit des Agessa et du RSA
Mais de ça, il ne se vante pas
2. 18/03
– On fête les Cyrille #BioDuJour
Cyrille a
quatre-vingt ans et une maison
D’édition qui ne publie que des oraisons
Cyrille fume des cigares Montecristo
En feuilletant les dernières nécros
D’édition qui ne publie que des oraisons
Cyrille fume des cigares Montecristo
En feuilletant les dernières nécros
Cyrille spécule
sur la mort d’auteurs réputés
Et surveille de près la santé de Begbeider
Et surveille de près la santé de Begbeider
3. 19/03
– On fête les Joseph #BioDuJour
Joseph est
imprimeur dans les Hauts-de-France
Il a le doigté, le coup d’œil et l’expérience
Il a le doigté, le coup d’œil et l’expérience
Joseph parle
bichromie, fond perdu
Dos cousu pour en mettre plein la vue
Dos cousu pour en mettre plein la vue
Joseph est un Artisan
du Livre tu comprends
Pas un vendeur à la sauvette ni un charlatan
Pas un vendeur à la sauvette ni un charlatan
4. 20/03
- On fête les Herbert #BioDuJour
Herbert est un
lecteur assidu et éprouvé
Il bouquine jour et nuit des livres engagés
Il bouquine jour et nuit des livres engagés
Herbert aime
la littérature de terrain
Les récits au long cours et plein d’entrain
Herbert aimerait faire un grand livre
Un essai à succès qui le rendrait ivre
Les récits au long cours et plein d’entrain
Herbert aimerait faire un grand livre
Un essai à succès qui le rendrait ivre
5. 21/03
– On fête les Clémence #BioDuJour
Clémence est
RP chez un grand éditeur
RP pour relations publiques ou facteur
Clémence fait les cafés pour la rédac
Apporte le courrier et dit toujours : d’ac !
RP pour relations publiques ou facteur
Clémence fait les cafés pour la rédac
Apporte le courrier et dit toujours : d’ac !
Clémence a
dix-huit ans et rêve trop
D’un bureau avec son nom écrit en gros
D’un bureau avec son nom écrit en gros
6. 22/03
– On fête les Léa #BioDuJour
Léa n’est pas communiste,
pas intégriste
N’est pas méchante, pas non plus terroriste
Léa aimerait que l’auteur de cette mouise
Ne se contente pas de pomper Louise
N’est pas méchante, pas non plus terroriste
Léa aimerait que l’auteur de cette mouise
Ne se contente pas de pomper Louise
Léa n’est pas moche,
ni parisienne
Mais Léa attaque comme une hyène
Mais Léa attaque comme une hyène
7. 23/03
– On fête les Victorien #BioDuJour
Victorien ne
sait pas qu’il clôt
La série des #BioDuJour, cet idiot
La série des #BioDuJour, cet idiot
Victorien ne
comprend rien du tout
Aux statuts du matin mais s’en fout
Victorien écrit des trucs sans plus
Sur Facebook, Twitter et Google plus
Aux statuts du matin mais s’en fout
Victorien écrit des trucs sans plus
Sur Facebook, Twitter et Google plus
Patrice
est un poète contemporain méconnu. Lui se dit maudit comme tout poète qui n’est
pas lu. Son ego, il le met dans la poésie. Il rogne les formes, invente des
scansions à tout rompre, décapite les vers et fait valser le rythme sur des
chevalets de métaphores. Il est novateur
mais il n’y a que lui qui le sait. Patrice vit chichement du RSA et s’en va
tous les matins, manuscrit sous le bras, courir les éditeurs.
Ce jour-là,
Patrice pousse la porte cochère d’un grand éditeur parisien. Monsieur Cyrille,
vieux directeur de la collection « poésie et proses poétiques
métaphysiques et nécrophiles », le reçoit dans un salon cossu. Il invite
Patrice à s’asseoir à son bureau dans un confortable Richelieu vert ;
confortable mais aussi vieux que le directeur, si bien que Patrice s’enfonce dans
le velours comme un caillou dans la vase. Il se retrouve en position
inférieure, engoncé dans son fauteuil. Monsieur Cyrille le toise.
Le
directeur, l’œil vicieux et le dédain collé aux lèvres, lui propose un cigare,
un Montecristo qui fleure bon la poussière d’or, un de ses artifices dont Monsieur
Cyrille use à bon et surtout à mauvais escient. Patrice refuse.
Alors, comme ça, vous êtes poète ? Lui assène-t-il. Et il
continue sans que Patrice n'ait le temps de répondre. Poète
mais jeune. Non, parce que moi je fais dans le poète mature, voyez. Le poète
qui a de la bouteille, qui sait de quoi il cause, qui a une vie derrière lui
pour en causer et s’il est mort, c’est encore mieux… Vous comprenez ?
Patrice
soupire et pose son manuscrit sur le sous-main en cuir bordé de dorures et de
cuivre. Voilà tout est là, dit-il, ma poésie parle d’elle-même.
Monsieur
Cyrille sourit largement et dévoile deux rangs de ratiches jaunes et pointues
qui lui donnent une allure de seigneur des Carpates. Il presse le bouton d’un antique
interphone, le bouton rouge pour joindre Clémence.
Clémence
est la secrétaire de Monsieur Cyrille, sa bonne à tout faire : les cafés,
le courrier, les sourires de convenance et plus si affinités. Le vieux libidineux voudrait bien un peu plus
d’affinités mais Clémence résiste à ses avances licencieuses.
Clémence
rapplique, tailleur chic et petits escarpins qui claquent sur le parquet.
Tenez,
mon petit, apportez donc ça à Herbert et Léa et puis faites-en des copies pour
Joseph et Victorien aussi, vous serez bien aimables.
Clémence
se saisit du manuscrit, glisse un œil vers Patrice qui ne comprend pas très
bien qui sont ces gens à qui monsieur Cyrille délègue la lecture de son manuscrit.
Je
voudrais que ce soit vous qui lisiez, monsieur Cyrille, lui dit-il, pas vos
sbires.
Le
directeur se lève et lance, tonitruant : mais pour qui vous prenez-vous, jeune
godelureau ! Estimez-vous heureux que je vous aie reçu ! Je ne lis
que des auteurs morts, moi ! La littérature d’aujourd’hui est une
chaudepisse qui se répand comme une apocalypse apocryphe ! Je ne lis que les
rééditions d’auteurs du XIXe ou début XXe ! Depuis
la littérature est morte, monsieur Patrice, et vous, vous n’existez pas !
Patrice
se lève, salue poliment monsieur Cyrille et sort du salon. Dans le couloir, il
croise Clémence en discussion avec un homme à l’accent des hauts-de-France.
Distingué et à la voix douce, il présente à Clémence des épreuves d’un livre.
Patrice les interrompt et demande à récupérer son manuscrit avant qu’elle ne le
donne à lire aux petits yeux de monsieur Cyrille.
Clémence ne s’étonne pas, lui sourit et lui tend le
manuscrit.
« J’irai caresser les colombes », c’est un beau titre, lui dit-elle en mimant de la bouche un roucoulement de séduction. Désignant son interlocuteur, elle enchaine : voyez avec Joseph, c’est un artiste, un artisan du beau livre, il saura vous faire un bel écrin.
Clémence - 21/03 |