La fille au guichet
26.5.16
Elle me regarde derrière la vitre, me demande où je souhaite être placé – enfin c’est ce que j’ai cru comprendre.
Elle se tourne face à la petite grille. C’est par là que je lui parle, que je lui demande une place pour la prochaine séance. Elle répond quelque chose. Sa voix vrille puis rebondit sur les vitres avec un écho qui sature mes oreilles de voyelles. Uniquement des voyelles, comme au téléphone lorsque la communication part en friture. Des « ahhhhh » suivis de « ohhhhh », peut-être des « ihhhh » mais alors étouffés à la fin d’une phrase totalement incompréhensible. Je reçois la voix en appliquant une grimace sur la grille. Une moue rembrunie, une expression d’hébétude.
- Je n’ai rien compris. Pardon, mademoiselle, mais je n’ai pas bien entendu.
Elle répète en haussant le ton et l’agacement se voit sur son visage. Elle me fait signe de coller mon oreille à la grille (et non pas ma bouche). Je m’exécute. Mais je ne comprends toujours pas les mots sibyllins qu’elle crache dans un petit et ridicule microphone collé sur le bord de son bureau. Je tente de lire sur ses lèvres qu’elle a fort jolies d’ailleurs mais la grille masque son visage. Je me décale, elle se décale aussi comme si elle cherchait sciemment à me cacher son visage. Je lui fais signe que je n’ai toujours rien compris. Que je souhaite une place pour la prochaine séance, que le temps passe et que je crains de manquer le début du film. Tout cela avec les mains, les bras, des grimaces de la bouche que j’articule exagérément. Elle se détourne de la muselière posée sur sa bouche alors que je gesticule toujours. Elle me regarde avec effroi, comme si j’étais un fou. Elle veut que je me calme. Elle le dit avec des gestes qui battent l’air de haut en bas, elle donne un coup léger sur le micro qui remplit le hall de larsen et dévoile une rangée de dents blanches qui m’aveugle et me fait vaciller.
- Mademoiselle, je veux juste une place pour la prochaine séance s’il vous plaît.
Elle glisse une main sur la vitre et l’entrouvre. Son regard se pose sur moi comme un aimant sur une tête d’épingle.
- Monsieur, c’est deux dollars mais ici c’est un théâtre. Pas un cinéma.
- Monsieur, c’est deux dollars mais ici c’est un théâtre. Pas un cinéma.
Meyerowitz, Joel, Times Square, 1963. |