Aux premières ombres
27.1.18
Il ne faudrait pas beaucoup secouer pour que sortent les larmes. Alors, tu restes assis dans ton fauteuil. Un livre, une tasse de thé, une cigarette pour la fin de chaque chapitre et pour le reste qui ballote au fond de ton ventre, tu oublies.
Et quoi de mieux qu’une belle histoire pour laisser de côté le roulis de l’âme. Les pages défilent sans toi. Du moins, sans ton corps, sans ta vie que tu prends soin d’écraser dans le cendrier ou de noyer dans ton Earl-grey, entre le noir et la bergamote.
Les heures passent ainsi jusqu’aux premières ombres. Elles avancent rampantes, d’abord sur les murs puis sur le coin de ta page. Rapidement, elles taquinent un point, assombrissent une virgule et gagnent du terrain sur le prochain paragraphe. Tu allumes la lampe mais rien n’y fait. Le noir s’évertue à tout effacer autour de toi, attaque tes pieds, remonte le long de tes jambes. Te voilà à moitié rongé par l’obscurité. Tu lèves le livre au-dessus de ta tête. Au moins sauver l’histoire. Mais les ombres continuent leur chemin. Bientôt, on ne voit plus que ton visage étonnamment clair et le halo de la lampe. Ton corps n’est plus qu’une ombre parmi les ombres. Du livre, il ne reste que la couverture flottant dans l’air. Du cendrier qu’un point rouge incandescent. De la tasse de thé qu’un arrière-goût de larmes.
Cela fait partie du jeu de l’immobile. Tout sombre sur toi.