Échafaudage

Du sable sous les yeux,
un reste de nuit crisse
en rabattant le drap du jour.

On entend le ciel monter
sur son échafaudage 
la voix serrée d’un enfant

Un linge humide posé
sur les paupières suffirait
pour retourner au rêve.

2018
  • 13.4.25

Va-et-vient

Les heures entrent par une porte 
ressortent par une autre,
va-et-vient parmi les ombres. 

Je cherche une durée,
ne trouve qu’un manège animé
par la mécanique des retours. 

Je passe par le trou de la serrure
en quête de l’instant qui sait ralentir.

Je cherche une issue qui n’existe pas,
une peine que rien ne peut assouvir.
  • 12.4.25

Murs de paille

De l’enfance, je retiens la douleur des autres et comment ils s’évertuaient à la masquer. Faux semblants et visages irradiés de mensonges, ombre épaisse leur barrant le cou cachée sous des écharpes de joie. 
Douleur qui traversait la mienne, elle-même dissimulée grâce aux murs de paille érigés autour du bonheur. 
Longtemps, ce qui en résultait de silence en moi oeuvra à ouvrir les mots d’aujourd’hui.

2020
  • 11.4.25

Énigme

Les couleurs se blottissent 
dans le coin d’un mur, prises   
dans le grand buvard du jour. 

La lumière hésite à entrer,
pose ses joues timides 
sur le balcon et attend. 

Attend que quelque chose 
donne le signal, une voix
un geste ; résolve l’énigme. 
  • 9.4.25

Ressac

Il fait un jour à renouer avec le ressac. 
Ce paquet lourd jeté à la mer qu’est le corps parfois. Malmené par la tête qui dodeline au vent, part et redresse sans cesse. Jour de tempête entre les oreilles où rien ne s’efface mais où tout bouscule. Des douleurs d’enfant cognent à la porte avec leur masque en forme de sourire. Ça va, ça vient et quand ça vient, ça va. On se dit ça quand la vague passe, la langue pleine de sel. 
Il fait un jour à renouer avec le ressac.

2019
  • 7.4.25

Savoir-vivre

Savoir-vivre.

Fixer longtemps le ciel clair
puis détourner les yeux

sans rien attendre d’autre
que la nuée de mouches

émues à la surface de l’iris
par la lumière trop vive.

Laisser vagabonder
sur le bout de son nez.

Recommencer.

2017 
  • 6.4.25

Bouteille

Il suffit parfois d’ouvrir la fenêtre,
de tourner ses épaules comme des gonds.

On entend alors un grincement délicat,
un vice qui crie dans le corps las.

Se dire qu’on a pris de la bouteille,
qu’on aimerait la rendre à la mer.

2018
  • 5.4.25

Aux heures où

Regarder l’envers de l’instant 
qui rôde entre deux averses.
Y voir une nuée de lèvres tendues
comme autant de baisers à voler
ou au contraire un vol de corbeaux
qui se confond dans une cape d’ombre ;
à moins que ce soit la même et seule vision
avec laquelle il faudra compter demain
aux heures où tu te crois poète.
  • 3.4.25

À jeter

Petits pas dans la nuit 
d’un poème de rien, poème Kleenex. 

À jeter dans la corbeille du réel après usage
Attention ! Pas celle réservée
aux cartons ni celle pour le recyclé 
Voilà celle-là, la poubelle verte,
pour le tout-venant et le rien d’advenu,
c’est un poème sans importance. 

Si ce n’est sa façon de marcher
dans la nuit, écoutez comme ça dure
mais allez-y, veux pas vous déranger
si vous n’avez pas le temps,
il en passera d’autres, des poèmes
à petits pas, des poèmes de rien,
des poèmes à jeter. 

2023
  • 2.4.25

Reprise

Tu ajustes un peu
le miroir pour te voir
de plus haut, 

aussi te moquer    
des longues années
de rides. 

Tu effaces au Typex,
pour que reste un souvenir 
du blanc sur le manque,

puis tu reprises maille
par maille
le tissu des rêves.
  • 31.3.25

Plop

Ce matin, j’ai croisé
un fabuleux silence,
un peu revêche au départ,
ne voulant pas vraiment
se faire remarquer. 

Il a très vite éclaté, plop
dans mon oreille saturée 
du bruit de tous les jours,
me laissant tellement léger 
que demain déjà en redemande.

2019
  • 30.3.25

Fatigue

Je devrais porter ma fatigue
plus loin dans une forêt,

l’abandonner aux arbres
au milieu d’une clairière,

au lieu de lui laisser une place
près de moi qui la dévore.

M’affamer pour l’oublier.
  • 28.3.25

Sans moi

Le jour a commencé sans moi,
glisse sous la porte une lumière  
de déjà-vu une odeur d’ordinaire.

De petites sensations sans charme 
vont viennent avec leur éternité  
de gestes qui rassurent la tête le corps. 

Vont viennent avec leur entêtement,
leur poids et leur râle rampant ;
le jour a commencé sans moi, tant mieux. 
  • 26.3.25

C’est idiot

J’aime la lenteur des dimanches,
leur goût pour les ambiances feutrées. 

J’ai un café dans les mains,
le regard dans la rue. 

J’attends qu’un facteur passe,
c’est idiot c’est dimanche. 

Dimanche feutré sans personne,
avant le tohu-bohu des questions.
  • 23.3.25

Debout

Il fait un jour à tenir le paysage debout. 
On doute de notre regard. Des îlots de réalité qui le composent. Les points et les lignes qui tiennent le tout ont des tremblements. Petit séisme dans l’appréhension de ce qui se dresse devant nous. Il faut retenir nos langues qui auraient vite fait d’expliquer les petites erreurs du réel. Il y a trop peu d’arbres qui traversent la ville pour nous rassurer. Rien que ce trou sur le trottoir ne présage rien de bon.
Il fait un jour à tenir le paysage debout.
  • 22.3.25

Si peu

Aujourd’hui, rien ou si peu. On peut lever les yeux, regarder le ciel, se dire à demain ou adieu. 

On n’est pas si mal avec ce si peu, aussi peu que cette goutte de pluie glissant sur la vitre vers l’oubli,

et à qui l’on confierait presque notre vacuité, notre inlassable besoin d’être consolé. 
  • 20.3.25

Tout cabossé

Il y a faille de la mémoire,
obscur déni ou amnésie. 

On secoue le grand sac 
pour trouver le bon numéro,
un plaisir d’enfant dans le sourire.

Ce que l’on sort alors
de nos emmêlés est souvent 
un petit mensonge tout cabossé.

2020
  • 19.3.25

Dans ma musette

Je voudrais un mot pour la soif
dans ma musette du grand voyage. 

Oh ! Rien de bien fameux
rien de ronflant ni de bien beau. 

Un simple mot suffirait,
il dirait par l’exemple 

combien les sales instants 
avec le temps sont des ancrages.

2020
  • 16.3.25

Obscure clarté

Il y a un contre-froid de saison, des pensées de printemps contrariées, quelques restes d’un hiver mal ajusté.
Le jour avec la nuit, le chaud-froid des émotions ; l’obscure clarté, dirait l’autre.
Allons ! Tirons un trait, observons quelque oiseau et gardons-en le geste élégant de l’envol.
  • 13.3.25

Cahin-caha

J’ai vu passer une solitude ce matin tôt avec son charriot d’angoisses, sur le trottoir cahin-caha trottant comme une enfant un premier jour d’école.

Son regard tombait sur ses souliers neufs, ceux que l’on a tous un jour portés, ceux qui brillent trop, que maintenant elle aimerait vite salir pour pouvoir marcher plus droit.

2023
  • 8.3.25

Fini

Je me souviens des nuits qui ressemblaient à des jours, des angles morts qu’elles faisaient dans la tête.

Je me souviens des tours de passe-passe pour attiser les pensées, des bouts de bois fumant sous les cendres, du feu dormant des peurs enfantines.

Je m'en souviens comme si c'était fini.
  • 6.3.25

Lieu

Je cherche un lieu où poser mon corps,
une embrasure dans un ciel porteur,
un endroit sûr sous une lumière solide.

J’y mettrai ma couche de paille,
entrains paresses et lendemains,
quelques amuse-bouches puis du vin
pour les jours où le ciel porte bas.

Loin de toute géographie connue,
je cherche un lieu qui ne tremble pas.

2023
  • 4.3.25

Étanche au monde

La ville a des sons lourds qui font tampons dans les oreilles. Ça convoque l’eau qui bouche à l’heure du bain, revient comme bouteille à la mer puis arrondit les bruits alentour pour plonger le souvenir dans une nasse.
Le clocher sonne un repic étouffé, les pas flâneurs du dimanche glissent sous des éponges. Les disparus reviennent, leurs voix passées au tamis glissent au-dessus des toits. Je les entends loin, enfant étanche au monde, tête et pensées sous l’eau. 
  • 2.3.25

Rire

Dehors tourne à vide sur un homme dans la rue. Il rit seul, assis sur un banc de fer blanc. Il rit bouche ouverte pour que sorte la douleur. Il rit sur une plaie aussi rouge que le banc est blanc. Jusqu’au moment où son oeil retourne vers toi le malaise. Jusqu’à cet instant où tu sais qu’à ton tour il faudrait rire.

2018
  • 1.3.25

Rivière

Maman porte en elle une rivière que papa ignore. Mais papa est le fleuve alors je fais mine de le suivre.
Traverser fleuve ou rivière revient à porter sa petite mare d’enfant, comme un vase rempli à ras bord qu’il vaut mieux ne pas renverser. 
Il ne faut pas se prendre trop tôt pour l’affluent.

2020
  • 25.2.25

Boucle

On ferait bien de boucler chacun de nos jours par un double noeud, bien serré ; en utilisant à cet effet un emballage solide, de cette matière plastique résistante dont on fait les sacs poubelles. 
Bouclons avant la dernière heure. Remords, petites hontes mal digérées, rogatons de mensonges, orgueils mal embouchés et autres salmigondis de pensées. Bourrons tout notre mou et serrons bien fort les liens, pour qu’aucune odeur ni flétrissure ne vienne pourrir le lendemain.
Ainsi, repartons débarrassés des scories de la veille avec la ferme intention de faire du nouveau jour moins de déchets. Mais ne nous leurrons pas : gardons en tête que l’Intention bien que louable est vaine, acte de vanité irrépressible qu’il sera bien temps d’expier et d’emballer dans le prochain sac que l’on ferait bien de boucler…
  • 25.2.25

Sourire

Le trottoir soudain s’allonge
sous un soleil nouveau.

Dans la rue, les cols s’ouvrent
et les visages se relèvent.

Mon pas est lent pour suivre
la direction des sourires.

Rien de mieux qu’un sourire
pour survivre au chemin.

2020
  • 24.2.25

Futur

Tu dis qu’enfant, on ne t’avait pas vendu ce futur. Tu tailles un crayon et tu penses à la mine et à sa polysémie. 
T’en tires une mine ! Assis là, à la table de lecture, en train de faire coïncider souvenirs et avenir. 
Tu sais bien qu’il y a plus malheureux que toi, t’es pas à la mine ! Tu souris, reposes le crayon, souffles sur les rognures de bois. Elles retombent lentement, bien où elles veulent, déjà tout à leur futur.

2024
  • 22.2.25

Autour d’une pomme

Le ronronnement d’un moteur, le roucoulement d’un pigeon, la lumière dans sa paresse. Le matin et un tremblement dans les yeux, le temps d’apprivoiser le monde. 
Il y a aussi l’odeur de la pomme que l’on vient de trancher en deux. Le goût du sucre qui prend le plaisir par la main jusque dans la succion d’un pépin, avant son revers âpre quand on le croque. 
La lumière monte sans grand entrain. On a envie de la pousser dans le dos, de soulager la digestion de tous les pépins passés. Le moteur pourrait aider s’il n’était pas tout à son affaire de moteur. Un tremblement et la voilà, fière lumière, sur les toits à fricoter avec les pigeons. Jour.
  • 21.2.25

Fainéant

Avec des coupes dans la lumière et des aplats d’ombres, février continue à regimber. Il n’est pas du matin, traîne et charrie les couleurs comme de longs bâillements. On lui aimerait une mère assez autoritaire pour le lever du lit. Debout, février, il est déjà neuf heures ! Mais rien, février est un fainéant blotti sous sa couverture de nuages. On n’en tirera rien. 
  • 16.2.25

Équeuter les heures

Il faudrait équeuter les heures, n’en garder que le vert et le tendre, laisser tomber les saillantes, les âpres, les mauvaises en bouche et occuper ce qui reste de minutes avec un tas de pensées vagues que l’on finirait par laisser s’enfuir, libres, par la fenêtre.
  • 13.2.25

À tâtons

On entend un enfant à l’étage,
son rire courir dans la pièce,
puis l’eau couler dans son bain.

Quand le rire glisse vers les pleurs,
on sait la bouche pleine de savon,
la mousse dense qui pique l’œil.

On sait ces instants aveugles
à chercher à tâtons la main
d’une mère plutôt qu’une serviette.

2019
  • 11.2.25

Calme

Il y a des soirs où le calme ne vient pas
Le jour fait ses affaires avec les habitudes
La lumière tombe sensible aux choses 
Le monde descend sans rechigner
Mais un bouillon secoue les ombres 
Oh rien ne passe qui vaille une histoire
Le visible reste lisible, le commun à sa place 
Mais le calme ne vient pas avec le soir

2023
  • 9.2.25

Les fils électriques

Midi et j’ai les yeux suspendus aux fils électriques qui passent devant les fenêtres de l’immeuble voisin.

C’est beau, les fils électriques, le charme de la désuétude. Ils tiennent à la rue comme à ma petite mélancolie, de par leur lent balancement entre une brise sans importance et le cataclysme chimique qui occupe mon esprit.

Si un quidam passait, il dirait de ma tête qu’elle est ailleurs ; oui ailleurs, à cheval sur un déséquilibre, en porte-à-faux pour dire vrai.
  • 31.1.25

Puits sans fin

Le rêve est un puits par lequel je remonte lentement. Je suis par-dessus la vie. Omniscient du rien qui fait plein. Un pigeon piétine sur un toit dans un affolement d’ailes et tout un monde s’agite. Dans le ciel, une lucarne s’ouvre par un fondu au noir de cinéma et offre une intensité à partager. Puis tout s’emballe, de bric et de broc : le pigeon ouvre la lucarne, le ciel bat des ailes, le puits m’appelle sans fin. Rien ne tient la route. Pourtant la route est là, sous mes pieds, tangible, dense et aérienne pour autant d’espaces sans pareil.
  • 29.1.25

À la soupe

J’entends les enfants
chahuter depuis la fenêtre.

Leurs voix dans la rue gelée
forment des ronds de fumée.

Quelque souvenir s’y cogne
comme les années sur mon visage.

Une ride de plus quand la mère
crie à la soupe à leur oreilles rougies.
  • 28.1.25

Matin

Le jour n’a pas fini de frotter sa figure
et le trottoir a des fourmis dans le pavé. 

Lentement le quartier s’éveille. 
Une fenêtre s’ouvre puis une autre 
comme les doigts d’un poing serré. 

Il reste un morceau de lune coincé 
dans ma bouche et la nuit me parle encore.
  • 26.1.25

Cercle de rouille

Il y a toujours ce cercle de rouille sur la toile cirée, trace du vieux vase en étain qui trônait constamment sur la table de la cuisine. 

Il y a toujours ce cercle de rouille parce que l’eau du vase débordait légèrement, coulait le long, tombait sur la toile cirée, encerclait le vase. 

Il y a toujours ce cercle de rouille. Même si on ne veut plus de la mauvaise odeur de l’eau des fleurs, la mémoire s’enroule. Le vase s’est éteint, table et toile sont remisées mais la rouille demeure.
  • 24.1.25

Les sirènes

On entend des sirènes par-dessus les toits,
nos regards tremblent par la fenêtre.

La brume du matin ne s’est pas levée,
il est dix-sept heures les sirènes passent.

Il faudrait ouvrir l’horizon avec un ciseau
pour apercevoir ce qui nous brûle au fond.
  • 21.1.25

C’est toi le fou

J’entends les choses murmurer,
conciliabule dans ma bulle. 

Les choses ne sont que des choses
à quoi parler sans crainte de réponses. 

La folie se tient peut-être ici,
dans cette paire de lunettes

posées sur la fin d’un livre ou
dans ce triste crayon de bois

qui semble me pointer du doigt
et penser : cher ami, c’est toi le fou.
  • 18.1.25

Ésotérique

À la table où je lis, la lampe
dans sa constance fait du livre
et de l’ombre des complices. 

Permanence soudain troublée
par un clignotement semblant 
craindre le pas des vers suivants :

« Une lampe déserte,
le paisible vestibule,
Et une ombre en éveil
Où se dresse le catafalque. »

Vers d’un Pessoa ésotérique
revenu d’entre les morts 
pour griller mon ampoule.
  • 12.1.25

Tableau inachevé

Chaque soir joue la même partition,
rapides notes blanches sur noires. 

L’ombre gagne en virtuosité
avec son air de tableau inachevé,

de traîne-misère en queue de pie 
comme si elle ne savait pas le retour 

du beau jour propre sur lui 
plein de notes bleues que l’on oublie.
  • 11.1.25