Rivière

Maman porte en elle une rivière que papa ignore. Mais papa est le fleuve alors je fais mine de le suivre.
Traverser fleuve ou rivière revient à porter sa petite mare d’enfant, comme un vase rempli à ras bord qu’il vaut mieux ne pas renverser. 
Il ne faut pas se prendre trop tôt pour l’affluent.

2020
  • 25.2.25

Boucle

On ferait bien de boucler chacun de nos jours par un double noeud, bien serré ; en utilisant à cet effet un emballage solide, de cette matière plastique résistante dont on fait les sacs poubelles. 
Bouclons avant la dernière heure. Remords, petites hontes mal digérées, rogatons de mensonges, orgueils mal embouchés et autres salmigondis de pensées. Bourrons tout notre mou et serrons bien fort les liens, pour qu’aucune odeur ni flétrissure ne vienne pourrir le lendemain.
Ainsi, repartons débarrassés des scories de la veille avec la ferme intention de faire du nouveau jour moins de déchets. Mais ne nous leurrons pas : gardons en tête que l’Intention bien que louable est vaine, acte de vanité irrépressible qu’il sera bien temps d’expier et d’emballer dans le prochain sac que l’on ferait bien de boucler…
  • 25.2.25

Sourire

Le trottoir soudain s’allonge
sous un soleil nouveau.

Dans la rue, les cols s’ouvrent
et les visages se relèvent.

Mon pas est lent pour suivre
la direction des sourires.

Rien de mieux qu’un sourire
pour survivre au chemin.

2020
  • 24.2.25

Futur

Tu dis qu’enfant, on ne t’avait pas vendu ce futur. Tu tailles un crayon et tu penses à la mine et à sa polysémie. 
T’en tires une mine ! Assis là, à la table de lecture, en train de faire coïncider souvenirs et avenir. 
Tu sais bien qu’il y a plus malheureux que toi, t’es pas à la mine ! Tu souris, reposes le crayon, souffles sur les rognures de bois. Elles retombent lentement, bien où elles veulent, déjà tout à leur futur.

2024
  • 22.2.25

Autour d’une pomme

Le ronronnement d’un moteur, le roucoulement d’un pigeon, la lumière dans sa paresse. Le matin et un tremblement dans les yeux, le temps d’apprivoiser le monde. 
Il y a aussi l’odeur de la pomme que l’on vient de trancher en deux. Le goût du sucre qui prend le plaisir par la main jusque dans la succion d’un pépin, avant son revers âpre quand on le croque. 
La lumière monte sans grand entrain. On a envie de la pousser dans le dos, de soulager la digestion de tous les pépins passés. Le moteur pourrait aider s’il n’était pas tout à son affaire de moteur. Un tremblement et la voilà, fière lumière, sur les toits à fricoter avec les pigeons. Jour.
  • 21.2.25

Fainéant

Avec des coupes dans la lumière et des aplats d’ombres, février continue à regimber. Il n’est pas du matin, traîne et charrie les couleurs comme de longs bâillements. On lui aimerait une mère assez autoritaire pour le lever du lit. Debout, février, il est déjà neuf heures ! Mais rien, février est un fainéant blotti sous sa couverture de nuages. On n’en tirera rien. 
  • 16.2.25

Équeuter les heures

Il faudrait équeuter les heures, n’en garder que le vert et le tendre, laisser tomber les saillantes, les âpres, les mauvaises en bouche et occuper ce qui reste de minutes avec un tas de pensées vagues que l’on finirait par laisser s’enfuir, libres, par la fenêtre.
  • 13.2.25

À tâtons

On entend un enfant à l’étage,
son rire courir dans la pièce,
puis l’eau couler dans son bain.

Quand le rire glisse vers les pleurs,
on sait la bouche pleine de savon,
la mousse dense qui pique l’œil.

On sait ces instants aveugles
à chercher à tâtons la main
d’une mère plutôt qu’une serviette.

2019
  • 11.2.25

Calme

Il y a des soirs où le calme ne vient pas
Le jour fait ses affaires avec les habitudes
La lumière tombe sensible aux choses 
Le monde descend sans rechigner
Mais un bouillon secoue les ombres 
Oh rien ne passe qui vaille une histoire
Le visible reste lisible, le commun à sa place 
Mais le calme ne vient pas avec le soir

2023
  • 9.2.25